Les présidents livrent leurs secrets

Par Sophie Flouquet · Le Journal des Arts

Le 20 juin 2011 - 1500 mots

Confrontés aux mêmes problèmes de baisse des subventions, de renouvellement des publics et d’enrichissement des collections, les « patrons » des deux lauréats 2011 y répondent souvent différemment.

Stéphane Martin, président du Musée du quai Branly

Sophie Flouquet : Comment interprétez-vous les bonnes performances du Musée du quai Branly ?
Stéphane Martin : Le musée reste en phase avec les grandes questions du moment, touche à des sujets tels que la diversité culturelle, l’émergence de la modernité ou les rapports à l’environnement. C’est ce qui fait son intérêt et son originalité. Par ailleurs, nos expositions sont produites par des commissaires extérieurs, ce qui est une garantie du renouvellement des regards. Notre public semble y adhérer puisque nos études révèlent un taux de satisfaction de 96 % avec des primo-visiteurs minoritaires, ce qui indique une forte fidélisation.

S.F. : La fréquentation accuse pourtant un net repli par rapport à 2009. Cela vous inquiète-t-il ?
S.M. : Pour des raisons de sécurité, notre musée a une jauge plus faible que celle des autres grands musées parisiens. Cela signifie que notre fréquentation annuelle ne pourra jamais excéder 1,9 million de visiteurs. Toutefois, la baisse, qui est réelle, s’explique par les choix de programmation osés des expositions « Baba Bling » et « Autres maîtres de l’Inde ». Elles étaient cependant importantes en termes stratégiques, afin de nous créer un territoire culturel.

S.F. : Comment renouveler son public lorsque les collections du musée ne sont pas encyclopédiques ?
S.M. : Nos collections sont un amalgame extraordinaire de couches historiques, et comprennent des médias divers, y compris la peinture ou la photographie. Cette diversité nous offre de nombreuses perspectives. Par ailleurs, notre outil est très flexible. Mais il est sûr que dans une capitale occidentale les institutions leaders sont toujours le musée d’art contemporain et la grande pinacothèque. C’est donc une gageure pour nous que de nous maintenir à ce niveau.

S.F. : Pourquoi la fréquentation touristique du musée reste-t-elle plus faible que celle de vos homologues parisiens ?
S.M. : La plupart des touristes fonctionnent sur prescription, il faut donc nous laisser du temps. Mais cette visibilité viendra notamment grâce à notre politique de développement international, car nous exportons désormais nos expositions, notamment en Asie. L’université de Tokyo, qui construit un petit musée dans la gare de la ville, aimerait que nous y soyons présents, sous la forme d’un corner.

S.F. : Faut-il s’attendre à l’ouverture d’antennes ?
S.M. : À l’étranger, nous n’avons pas de projet concret même si quelque chose avait été envisagé en Polynésie. En France, ce type de projet impliquerait d’avoir à nos côtés un partenaire très investi. En revanche, nous développons nos activités hors les murs, en allant au-devant des publics, comme à Montreuil [Seine-Saint-Denis]. Nous projetons aussi d’installer, en région parisienne, des conteneurs aménagés par des artistes autour de problématiques liées à ces territoires.

S.F. : Comment continuer, dans un contexte budgétaire tendu, à offrir le même niveau de prestations au public ?
S.M. : Depuis notre ouverture, la baisse de 5 % a été continue. Nous l’avons toujours compensée par nos ressources propres. Mais si je ne suis pas de ceux qui se plaignent auprès du ministre, le problème se pose dès lors que la baisse s’installe dans la durée. Or, comme la Cour de comptes l’a montré [lire le JdA n° 344, 1er avril 2011], le succès des musées parisiens est lié à leur entrée dans un système coûteux. Et il est difficile de sortir de ce système inflationniste. En matière culturelle, la politique déflationniste ne fonctionne pas, elle casse.

S.F. : L’enrichissement des collections recule dans les musées. Faut-il y déceler une tendance ?
S.M. : Cela sera plus difficile. Dans le domaine des arts premiers, tout se passait auparavant dans les galeries et chez les collectionneurs. Et avant nous, il n’y avait pas d’acquisitions publiques. La structure du marché a changé. Il faut aujourd’hui aller très vite alors que les prix sont incontrôlables. Cela nous pénalisera.


Alain Sebann, président du Centre Pompidou

Sophie Flouquet : Le Centre Pompidou réitère cette année ses bonnes performances. Comment percevez-vous ce résultat, d’autant que la fréquentation baisse par rapport à 2009 ?
Alain Sebann : Je ne fonctionne pas à l’audimat. Sur le plan de la fréquentation, 2009 a été hors norme, avec le succès inouï d’expositions comme « Kandinsky » et « Alexander Calder, les années parisiennes ». En 2010, nous nous attendions à ce que la fréquentation des expositions soit moins forte, mais la bonne nouvelle, c’est que la fréquentation globale dépasse 3 millions de visiteurs pour la deuxième fois depuis 2000 et que la fréquentation des collections permanentes continue de progresser. Et n’oublions pas le Centre Pompidou-Metz, qui a accueilli quelque 630 000 visiteurs en 2010… Ce succès tient à notre politique dynamique de mobilisation des collections, dont Metz est le symbole, et qui s’est traduite à Paris par une nouvelle présentation des collections modernes depuis avril 2010. La mesure de gratuité des collections permanentes pour les jeunes de 18-25 ans voulue par le président de la République a également fonctionné à plein puisque le nombre de visiteurs gratuits a augmenté de 4 points, passant ainsi de 17 à 21 %.

S.F. : Comment continuer, dans un contexte budgétaire tendu, à offrir le même niveau de prestations ?
A.S. : Face à une baisse de 5 % de notre subvention, le choix fondamental que j’ai fait, c’est de ne rien sacrifier de la qualité et de l’exigence de notre programmation. Les budgets des expositions ont été intégralement maintenus. S’il le faut, nous programmerons un peu moins, pour programmer toujours aussi bien. Surtout, il nous faut continuer de maîtriser nos charges de structure (pour la première fois, elles vont baisser en 2011) et développer nos ressources propres – elles ont augmenté de 50 % en quatre ans – pour nous donner des marges de manœuvre.

S.F. : Les expositions temporaires sont-elles à ce point primordiales pour un établissement ?
A.S. : Le public, et surtout le public francilien, perçoit d’abord le Centre Pompidou comme un lieu d’expositions temporaires, une sorte de « Grand Palais de l’art moderne et contemporain ». Les grandes expositions sont le principal moteur de notre fréquentation, dont l’augmentation profite aux expositions réputées plus difficiles grâce à la politique du billet unique. En 2012, malgré les difficultés budgétaires, nous proposerons une programmation éblouissante, avec Matisse, Dalí, Gerhard Richter et, s’agissant de la scène française, Bertrand Lavier, Adel Abdessemed ou Anri Sala. Et nous allons poursuivre la politique de fond que j’ai engagée pour développer la fréquentation du musée : elle a progressé de 43 % depuis mon arrivée, mais nous avons encore de la marge, notamment auprès des touristes. Le pourcentage de visiteurs étrangers est notablement inférieur à celui du Louvre ou du Musée d’Orsay, et il le restera car nos positionnements dans l’offre touristique parisienne ne sont pas comparables. Mais nous cherchons activement à développer la fréquentation touristique du Centre, et plus particulièrement du musée.

S.F. : Faut-il s’attendre à des changements pour 2011 ?
A.S. : Nous achèverons en 2011 la « feuille de route » que j’avais donnée à l’établissement en 2007 en matière de projets stratégiques : nous lancerons en octobre le « Centre Pompidou mobile » [lire le JdA n° 348, 27 mai 2011] et, à la fin de l’année, le « Centre Pompidou virtuel ». Sur le plan des expositions, nous poursuivrons, dans la veine transhistorique et transdisciplinaire inaugurée en 2008 avec « Danser sa vie », une grande exposition consacrée aux rapports entre la danse et les arts visuels depuis le début du XXe siècle ; « Edvard Munch, l’œil moderne » ; et une rétrospective de « Yayoi Kusama », qui est un peu la Louise Bourgeois japonaise, une artiste immense, non encore assez connue en France. Par ailleurs, le programme « recherche et mondialisation », qui vise à adapter le musée à la nouvelle donne de la mondialisation de la création artistique, va monter en puissance. D’ores et déjà, nous avons conclu un accord exclusif avec un collectionneur sud-africain dont nous sommes le conseil pour construire à Johannesburg le premier musée d’art contemporain au sud du Sahara. Lequel, en retour, va nous aider à développer notre collection en ce qui concerne les artistes sud-africains. D’autres partenariats sont en cours de négociation. Je cherche aussi à resserrer nos liens avec les artistes, notamment ceux de la scène française, et à renouer avec les formes les plus prospectives de la création actuelle en réactivant une dimension de laboratoire qui s’incarne dans de nouveaux formats comme les « Rendez-vous du Forum » ou le « Nouveau Festival », et dans une politique de commandes plus active.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°350 du 24 juin 2011, avec le titre suivant : Les présidents livrent leurs secrets

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