Premier musée consacré à l’art brut en France, le LAM a inauguré sa nouvelle extension où il érige ces productions singulières au même rang que l’art moderne et contemporain.
VILLENEUVE D’ASCQ - Inauguré quelques jours auparavant par le ministre de la Culture et la présidente de la région Nord - Pas-de-Calais, le LAM (Lille Métropole Musée d’art moderne, d’art contemporain et d’art brut), situé à Villeneuve d’Ascq (Nord), a ouvert ses portes au public le 25 septembre après quatre années de fermeture. Cette réouverture était attendue. La situation du musée, privé de direction pendant deux ans, commençait à inquiéter les milieux culturels jusqu’à ce que Sophie Lévy prenne les rênes de l’institution en 2009, alors que le projet architectural et muséographique était quasiment achevé (lire le JdA no 330, 10 septembre 2010, p. 4 et p. 14). Aujourd’hui, le musée peut enfin révéler au public la richesse de la collection L’Aracine, soit 3 900 pièces d’art brut, dont la donation en 1999 stipulait la création de nouveaux espaces au sein de l’institution alors nommée MAM, Musée d’art moderne de Villeneuve d’Ascq. L’extension de 3 200 mètres carrés imaginée par Manuelle Gautrand vient littéralement embrasser l’architecture initiale que Roland Simounet avait conçue près de trente années auparavant. « Simounet disait qu’il fallait entrer dans un site avec politesse. J’ai voulu respecter son esprit, sa délicatesse, sa volonté d’intervenir de manière simple, presque rustique. On découvre mon bâtiment après son architecture », explique Manuelle Gautrand, qui a travaillé huit années sur le projet avec Yves Tougard, architecte en chef du projet, et Renaud Piérard, architecte-scénographe. Elle ajoute : « Il fallait respecter la fluidité du parcours entre arts brut, contemporain et moderne. Quand on conçoit un bâtiment public, il faut faire œuvre d’architecture mais, à l’intérieur, il faut faire preuve d’effacement. » Ce que la muséographie de Renaud Piérard fait avec élégance. Lumineux et minimaliste, le parcours passe, en effet, de l’époque moderne aux créations contemporaines puis à l’art brut sans rupture.
Parti pris esthétisant
Le visiteur découvre de prime abord les collections modernes nées de la donation Jean et Geneviève Masurel, à l’origine du musée créé en 1983. Aux œuvres de Derain, Braque, Picasso, Modigliani, Léger, Brauner, Giacometti, Kandinsky, Klee, Miró, Poliakoff ou de Staël succèdent des productions contemporaines, avec une grande carte de France conçue en 2000 par Annette Messager, suivie d’une installation de Buren, La Cabane éclatée aux trois peaux. Villeglé, John Baldessari, Allan McCollum, Jean-Michel Sanejouand, Boltanski, Daniel Dezeuze et Barry Flanagan leur emboîtent le pas selon un accrochage subtil et aéré qui permet de reprendre son souffle. Jean Dubuffet, inventeur de l’expression « art brut » en 1945 pour définir des « ouvrages exécutés par des personnes indemnes de culture artistique », est le fil conducteur qui mènera aux nouvelles salles du musée, toutes dédiées à l’art brut. Ici, la grande fragilité des œuvres a obligé Manuelle Gautrand à concevoir un éclairage moins direct que dans l’architecture de Simounet. La lumière naturelle y est diffusée depuis les filtres que créent des façades conçues comme un moucharabieh en béton fibré perforé. Quelque 400 œuvres y sont exposées selon un parti pris qui n’est pas sans rappeler le sort réservé aux arts dits premiers au moment de leur entrée officielle dans les musées : l’art brut est élevé au même rang que l’art moderne et contemporain selon un choix assumé, résolument esthétisant… Au risque de passer à côté de leur étrangeté, leur singularité et des nombreuses interrogations qu’il suscite, à mille lieux du monde muséal ou du marché de l’art.
Un ensemble bien dosé
Néanmoins, la visite demeure d’une réelle cohérence, sans faux pas, incitant l’œil à reconsidérer des œuvres déjà connues. Les pièces se font écho dans cet ensemble justement dosé. Judith Scott et ses assemblages de raphia, ficelle et fil de laine (1990) semblent ainsi répondre à Annette Messager, tandis que les dessins à l’aspect torturé de Georgine Hu, internée en 1956, sonnent comme un rappel à l’œuvre de Dubuffet. Le Matelas disco (1989) de la série Outils de pouvoir signée Dennis Oppenheim prend un autre sens après la découverte de la complexe Table de projection sonore, d’enregistrement et de contrôle électrique (1967-1972) élaborée par l’inventeur Jean Lefèvre. Le parc du musée a été, lui aussi, entièrement réaménagé pour l’occasion. On y croise Reims, croix du Sud (1970) et Guillotine pour huit (1962) de Calder, l’imposante Femme aux bras écartés (1962) de Picasso, ainsi que des acquisitions plus récentes comme une pièce de Richard Deacon, Between Fiction and Fact (1992). Les espaces d’exposition temporaire réunissent actuellement des œuvres d’arts moderne, contemporain, brut, et bien plus encore, sous la thématique « Habiter poétiquement le monde » (lire l’encadré). Une démonstration qui nous parle d’ici et d’ailleurs dans ce lieu singulier qui se définit comme un musée de l’Europe du Nord, d’où il espère attirer de nouveaux publics.
L’exposition inaugurale du LAM s’interroge sur la manière dont les artistes, écrivains et cinéastes expriment leur présence au monde, avec Brassaï, Duchamp, Dan Graham, Thomas Schütte, Jack Kerouac… Réunissant plus de 350 œuvres et 70 créateurs, la démonstration s’inscrit dans le prolongement du travail initié depuis la donation L’Aracine sur les liens qui unissent ou séparent les arts moderne, contemporain et brut. « Ce sont cette fois les contextes et le processus de création que l’on prête d’habitude à l’art brut – l’isolement, la compulsion et la répétition, la fusion de l’écrit et du dessin, la pensée magique ou les «espaces-charges» – qui servent d’outils pour un rapprochement avec des œuvres littéraires, cinématographiques et d’art contemporain », expliquent les commissaires François Piron (critique d’art, enseignant et commissaire d’exposition), Christophe Boulanger (attaché de conservation en charge de l’art brut au LAM) et Savine Faupin (conservatrice en chef en charge de l’art brut au LAM). Considérées comme autant d’archives de soi et du monde extérieur, les nombreuses productions présentées créent des espaces imaginaires ou réels, comme autant de voyages, intérieurs ou physiques, brisant les frontières entre le présent et l’avenir, l’intime et le commun.
« Habiter poétiquement le monde », jusqu’au 30 janvier 2011. Catalogue, édité par le musée, 272 p., 30 euros, ISBN 978-2-8696-1087-3
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L’âme du Nord
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Abonnez-vous dès 1 €1, allée du Musée, 59650 Villeneuve d’Ascq, tél. 03 20 19 68 68, www.musee-lam.fr, tlj sauf lundi 10h-18h
Surface totale : 11 600 mètres carrés (dont 3 200 mètres carrés pour l’extension)
Nombre d’œuvres conservées : 4 500
Coûts des travaux : 29,7 millions d’euros
Architecte : Manuelle Gautrand
Muséographie : Renaud Piérard
Conservatrice-directrice : Sophie Lévy
Administrateur : Olivier Donat
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°332 du 8 octobre 2010, avec le titre suivant : L’âme du Nord