Warhol aujourd’hui

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 22 septembre 2010 - 732 mots

Le Kunstmuseum de Bâle expose les débuts d’Andy Warhol. Une démonstration limpide sur son passage à la peinture mécanique et sa complexité, bien au-delà de la sérialité.

Est-il encore possible de lire et regarder Warhol (1928-1987) aujourd’hui ? La question se pose légitimement après la débauche d’accrochages pléthoriques, aux arguments plus ou moins spécieux, qui ont fait florès ces dernières années ; il est vrai que l’artiste est un argument de vente imparable et une formidable « machine à cash ». Pour autant, la réponse est assurément « oui », et la méthode pour y parvenir est délivrée par le Kunstmuseum de Bâle. Vue de loin, la thématique annoncée semble assez improbable tant elle sent le réchauffé, et pourtant… En se focalisant sur les toutes premières années de sa carrière (1961-1964), « Andy Warhol. Le début des années soixante » donne une leçon de pertinence et de précision assez salutaire. En seulement cinquante-quatre tableaux et dessins (auxquels s’ajoutent quelques documents d’archives) de provenances prestigieuses – le Kunstmuseum lui-même mais aussi les collections Daros, Mugrabi ou Sonnabend –, apparaît un moment charnière de l’histoire de l’art contemporain, où Andy Warhol passe d’une peinture gestuelle à une production mécanisée et par-delà reproductible à l’envi.

Les mouvements du banal
C’est bien de geste dont il est question dans la première salle, où la touche est visible, le trait grossier, l’empâtement parfois encore palpable. Telle publicité est maladroitement copiée et agrandie (Dr Scholl’s Corns, 1961). Ailleurs, l’artiste a fait disparaître une partie du motif (Crosswords, 1961) tout en différenciant les textures à la surface ($199 Television, 1961). La subjectivité s’étiole enfin avec l’apparition des Do It Yourself, en 1962. Brillante, la juxtaposition de deux Before and After (1961 et 1962), qui vantent les mérites de la chirurgie esthétique, montre des images traitées dans une veine bien différente, la seconde étant devenue lisse et parfaitement calibrée.

« Before and After » : l’expression pourrait également s’appliquer au concept pictural du pape du pop art, qui, dès lors, s’engage sur la voie de la mécanisation et de la sérialité, appliquant à la peinture un mode de production aussi industrialisé que celui des objets et sujets qui retiennent son attention. Or, parce qu’elle ne donne à voir qu’un nombre d’œuvres restreint, cette exposition se révèle lumineuse. Elle éclaire en effet au mieux la complexité de la répétition warholienne, au lieu, comme c’est trop souvent le cas, de noyer le regard dans une déferlante d’où peu d’images surnagent au final ; une répétition qui, paradoxalement, se caractérise par un usage subtil et raisonné de la variation.

Traquant les imperceptibles mouvements du banal, l’artiste s’amuse avec les noms des saveurs mentionnés sur les boîtes de soupes Campbell – ce que montrent bien les essais effectués sur un document préparatoire venu du Andy Warhol Museum de Pittsburgh. Il joue de l’encrage pour faire disparaître, dans le bas du tableau, le motif d’un homme sautant dans le vide alors qu’il est visible dans la même image en haut de la toile (Black and White Disaster #4, 1963). Il introduit du rythme en s’essayant à la peinture en 3D (Optical Car Crash, 1962), brise la répétition en faisant se chevaucher les dernières images d’une série figurant Liz Taylor (Blue Liz as Cleopatra, 1962)… À y regarder de près, même les portraits d’Elvis ne sont jamais identiques dans leur similitude. La subjectivité des tout débuts, qui avait été gommée par le lissage de l’image et son nouveau mode de production, semble renaître sous une autre forme, mécanique celle-là, exprimée par un traitement différentiel et subtil de l’image.

La démonstration est édifiante dans la dernière salle du parcours, où deux grands tableaux figurant chacun deux fleurs strictement identiques adoptent quelques tonalités variables (Flowers [Large Flowers], 1965 ; Flowers, 1965). Mais surtout, la seconde image a tout simplement été retournée, donnant presque naissance à un autre motif. L’œil comprend dès lors immédiatement qu’avec Warhol il voit le même « en pas pareil » !

ANDY WARHOL. THE EARLY SIXTIES. PAINTINGS AND DRAWINGS, 1961-1964

Jusqu’au 23 janvier 2011, Kunstmuseum Basel, St. Alban-Graben 8, Bâle, Suisse, tél. 41 61 206 62 62, www.kunstmuseum basel.ch, tlj sauf lundi 10h-18h. Catalogue, éd. Hatje Cantz, 240 p., 171 ill., édition anglaise 64 francs suisses (env. 50 euros), ISBN 978-3-7757-2651-1.

Commissariat : Bernhard Mendes Bürgi et Nina Zimmer, respectivement directeur et conservatrice au Kunstmuseum de Bâle
Nombre d’œuvres : 54
Nombre de documents d’archives : environ 30

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°331 du 24 septembre 2010, avec le titre suivant : Warhol aujourd’hui

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