Maniérisme

Les meilleurs ennemis

Le Musée du Louvre évoque la Venise maniériste à travers les œuvres de Titien, Tintoret et Véronèse sur le thème de la rivalité entre peintres

Par Daphné Bétard · Le Journal des Arts

Le 29 septembre 2009 - 847 mots

PARIS - Dans Les Noces de Cana (1563), Véronèse se serait représenté aux côtés de Titien, Tintoret et Bassano sous les traits de musiciens jouant en harmonie.

Si le tableau, présenté dans la salle des États du Musée du Louvre, n’a pu faire le déplacement en raison de son trop grand format, il constitue une excellente introduction – ou conclusion – à la nouvelle exposition de l’établissement parisien. Version remaniée d’une première manifestation organisée pour le Museum of Fine Arts de Boston, celle-ci met à l’honneur les peintres de la seconde moitié du XVIe siècle, Titien, Tintoret, Véronèse et quelques autres. « Nous nous sommes concentrés sur la période maniériste, qui est en général mal aimée, avec des œuvres assez peu montrées en France », expliquent les commissaires, Jean Habert et Vincent Delieuvin, respectivement conservateur en chef et conservateur au département des Peintures du Louvre. La rivalité, parfois très vive, qui existait alors entre les peintres sert de fil conducteur au propos. Mais il s’agit d’une « noble rivalité » – celle évoquée par Vasari dans ses Vies (1568) –, comprise comme « une saine émulation entre artistes, les poussant à donner le meilleur d’eux-mêmes », précisent Habert et Delieuvin.

Rééquilibrage
Né en 1488, soit trente ans avant Tintoret et quarante avant Véronèse, Titien domine encore la scène artistique vénitienne au début des années 1540. Tintoret, qui se réclame de Michel-Ange, est durant un bref laps de temps l’apprenti de Titien, et une forte antipathie se développe entre les deux maîtres. À l’inverse, Titien voit en Véronèse, arrivé dans la lagune en 1550, son digne héritier, voire, selon le biographe de Tintoret Carlo Ridolphi, « un pion dans sa rivalité avec Tintoret ». L’épisode le plus célèbre demeure le concours pour obtenir l’une des premières commandes de la Scuola di San Rocco. À l’insu de ses concurrents Salviati, Zuccaro et Véronèse, Tintoret avait installé directement la toile achevée à l’emplacement final (le plafond de la salle du Conseil) puis avait déclaré l’offrir à l’église, s’assurant par ce tour de force de futures commandes. Seize ans après « Le Siècle de Titien », présenté au Grand Palais par Michel Laclotte, président honoraire du Louvre, qui examinait les œuvres de Tintoret et Véronèse à l’aune de leur aîné, « Rivalités à Venise » tente aujourd’hui d’opérer un rééquilibrage entre les trois artistes complété de l’apparition, timide, de Bassano. Le trio de choc a participé au renouveau de la peinture, en mettant l’accent sur les possibilités de la couleur – le fameux colorito vénitien, en opposition au non moins célèbre disegno florentin – et du tableau de chevalet. « L’exposition est bâtie sur un schéma comparatif avec une succession de thèmes », explique Vincent Delieuvin. Au portrait du Pape Paul III, tête nue (1543) de Titien répond le fougueux Autoportrait (1546-1547) de Tintoret conservé à Philadelphie ; au Portrait de dame avec un chasse-mouches (vers 1560) de Titien, le Portrait de dame avec un mouchoir (vers 1570-1572) de Véronèse…

La démonstration pèche parfois par ce parti pris scolaire sans surprise et renvoie le regard à des comparaisons élémentaires. Mais cette réunion de chefs-d’œuvre n’en demeure pas moins exceptionnelle. La partie baptisée « Le reflet et l’éclat », en référence à l’œuvre mythique de Giorgione et au débat sur la suprématie de la peinture, réunit ainsi Suzanne et les vieillards de Tintoret (1555-1556), où l’artiste a décuplé les points de vue du désir masculin, et la Vénus au miroir (1555) de Titien, prêtée par Washington. Particulièrement prisé de Titien, Véronèse et Tintoret, le thème de la fête biblique offre l’occasion d’élaborer de grands formats, entre profane et sacré, comme en témoignent Les Pèlerins d’Emmaüs version Titien (1533-1534), Bassano (1576-1577) ou Véronèse (1555-1560) – dans la toile de ce dernier auteur, certains personnages, comme la mère de famille, ont été massacrés lors de restaurations antérieures (lire le JdA no 292, 28 nov. 2008, p. 23). Le vent de la Contre-Réforme souffle sur cette deuxième moitié du XVIe siècle où les peintres multiplient les scènes nocturnes, contribuant à la dramatisation du sujet religieux. Conservée au Prado, La Prière du Christ au jardin des Oliviers (1558-1562) de Titien ou La Déposition du Christ (1555-1560) de Tintoret, en provenance directe de Venise, en sont de parfaits exemples.

Tout comme le Saint Jérôme pénitent (vers 1560) de Bassano, qui réalise ici une figure particulièrement réaliste et exprime toute sa maîtrise de la lumière. Le parcours s’achève sur des variations autour du nu féminin à travers des thèmes mythologiques, de la figure de Danaé peinte par Titien (1544-1546) et Tintoret (vers 1580) à l’Allégorie de l’Amour, dit le Respect de Véronèse (vers 1575), en passant par les œuvres de Palma le Jeune, Bassano ou Lambert Sustris. Une confrontation dominée par les trois têtes d’affiche de l’exposition, mais dont l’accrochage manque, peut-être, d’imagination.

TITIEN, TINTORET, VÉRONÈSE… RIVALITÉS À VENISE, jusqu’au 4 janvier 2010, Musée du Louvre, hall Napoléon, 75001 Paris, tél. 01 40 20 53 17, www.louvre.fr, tlj sauf mardi 9h-18h, jusqu’à 20h le samedi et 22h mercredi et vendredi. Catalogue, éd. Hazan, 478 p., 42 euros, ISBN 978-2-7541-0405-0.

RIVALITÉS À VENISE
Commissaires : Jean Habert et Vincent Delieuvin, respectivement conservateur général et conservateur, au département des Peintures du Musée du Louvre
Nombre d’œuvres : 86

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°310 du 2 octobre 2009, avec le titre suivant : Les meilleurs ennemis

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