Est-il légitime d’exiger un droit de reproduction pour une œuvre d’art tombée dans le domaine public ? Ce débat est au cœur du conflit opposant un éditeur de cédéroms et une société gérant les droits de nombreux musées. La justice américaine devra trancher ce litige.
NEW YORK (de notre correspondante) - Bridgeman Art Library Ltd, la société britannique qui délivre des licences pour la reproduction d’œuvres d’art des collections et des musées européens et américains, a décidé d’assigner devant les tribunaux américains la société informatique canadienne Corel, pour son édition en sept volumes de Professional Photos CD-Rom Masters qui contient des images téléchargeables d’œuvres d’artistes européens. Bridgeman réclame des dommages et intérêts, l’interdiction de la vente des cédéroms, et une injonction de la cour pour que Corel rende les images ayant servi à leur fabrication.
Bridgeman affirme que 120 des 700 images des cédéroms Corel sont des “reproductions photographiques piratées et numérisées” d’images créées à l’attention exclusive de ses clients et dont elle détient tous les droits de reproduction. Parmi les photos litigieuses, figurent le Cavalier de Frans Hals, appartenant à la Wallace Collection de Londres, Madame de Pompadour par Boucher, propriété des National Galleries of Scotland, et plusieurs Gauguin du Courtauld Institute. De son côté, Corel conteste les revendications de Bridgeman : les reproductions ne pouvaient faire l’objet de droits d’auteur puisqu’il s’agissait de “simples copies” d’œuvres d’art tombées dans le domaine public.
Pour s’assurer l’exclusivité des revenus tirés de la vente des reproductions, les musées vendent les droits des photos ou des ektas des œuvres et en limitent l’accès aux photographes. Corel souligne que “les revendications de Bridgeman montrent à quel point il est acquis que les musées sont détenteurs des droits de reproduction”. La société canadienne soutient que “les ektas de Bridgeman – en fait, des copies d’œuvres d’art tombées dans le domaine public – n’étant pas des originaux, ils ne sont donc pas soumis aux droits d’auteur”. À cela, Bridgeman répond que “les compétences du photographe pour créer un ekta grand format et le numériser donnent naissance à une création à part entière sur un nouveau support”.
Pour Stephen Weingrad, l’avocat de Bridgeman, les musées sont directement concernés car, à en croire la démonstration de Corel, “si l’on achète un poster au Met, on peut très bien fabriquer ensuite son propre poster”. Deborah Hunter, qui dirige le département photographique et des autorisations de reproduction aux National Galleries of Scotland, résume ainsi la position du musée : “Nous comptons sur nos activités commerciales pour conserver et agrandir nos collections. L’utilisation illicite de nos images par Corel représente pour nous des pertes considérables”. Elle ajoute que la “piètre qualité” des reproductions “porte atteinte à la valeur de nos collections”. La décision du tribunal devrait être rendue dans les prochains mois.
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Reproduction ou copie ?
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°68 du 9 octobre 1998, avec le titre suivant : Reproduction ou copie ?