« Nous avons voulu comprendre pourquoi Paul Delaroche avait été si célèbre », explique Claude Allemand-Cosneau, commissaire de l’exposition. Pour cela, le Musée des beaux-arts de Nantes a rassemblé, autour des tableaux, de nombreuses estampes et même des photographies qui font de Delaroche (1797-1856) l’artiste le plus reproduit de son temps. Quant à sa peinture, emblématique de la vision romantique de l’histoire de l’art, elle révèle, notamment dans les toiles religieuses de la maturité, un talent de metteur en scène hors pair, et un sens du cadrage... cinématographique.
NANTES - “Il s’efforça d’écrire l’histoire sur la toile ; et si je n’étais honteux de me servir d’un mot qu’on a rendu ridicule, je dirais qu’il s’est appliqué à créer, à populariser le réalisme historique”, écrivait un critique après la mort de Paul Delaroche, à propos du Dernier adieu des Girondins. Plus qu’un autre, Delaroche a incarné la passion de l’Histoire qui s’est emparée de la génération romantique. Non content de renouveler les sujets, puisés aussi bien aux sources médiévales qu’à la geste révolutionnaire, il s’est efforcé d’en modifier les codes, délaissant la scène de l’événement pour ses coulisses, au risque de l’anecdote.
Pour ce héraut de la “scène de genre historique”, la leçon du passé n’a de sens que reformulée dans un contexte réaliste. Antithèse absolue du tableau héroïque de David, Le Général Bonaparte franchissant les Alpes, juché sur un mulet, porte ainsi les marques de la fatigue et de la lassitude. Mais c’est dans l’art religieux que s’exprime avec le plus d’originalité le talent de Delaroche. Il y montre un art consommé du hors champ – ce que Claude Allemand-Cosneau appelle “une dialectique de la présence-absence” – dont le cinéma fera plus tard un large usage. Vendredi saint montre la Vierge et les saintes femmes regardant, l’air éploré, à travers une fenêtre, une scène que l’on devine être la Montée au Calvaire. Seules les expressions et les attitudes indiquent la nature du drame se jouant au-delà du cadre. La Mater Dolorosa, sortie pour l’exposition des réserves du Musée de Liège, opère un semblable déplacement... de l’objectif, serait-on tenté d’écrire. La Vierge est représentée au pied de la Croix et, du Christ, nous ne voyons que les pieds. S’il fallait démontrer l’audace d’une telle image, “dans l’esprit d’une piété nouvelle très intériorisée”, il suffirait de regarder les lithographies : les pieds sanglants, sans doute jugés inconvenants, ont tout simplement disparu.
Delaroche en série
Tous les tableaux de Delaroche ont été reproduits par la maison Goupil, dans tous les formats et toutes les techniques imaginables : gravures ou lithographies, d’ensemble ou de détail, de petit ou de grand format, en noir ou en couleur, cette profusion rappelle l’immense notoriété de Delaroche. De plus, son œuvre fut la première à faire l’objet d’une campagne de reproduction photographique, par les soins de Robert Bingham en 1858, grâce à laquelle est conservée la trace de toiles disparues. Les galeries autour de l’atrium accueillent une sélection de ces multiples, et le parcours ne pouvait se conclure sans une évocation du célèbre hémicycle de l’École des beaux-arts. Commandé à Delaroche pour le consoler de son échec dans le décor de la Madeleine, cette scène en CinémaScope de 24,7 x 3,9 m peut être considérée comme un “manifeste de la manière romantique de voir l’histoire de l’art”. À l’instar de l’architecture de Duban et de tout le décor de l’École, il témoigne de l’émergence, à côté de l’antique et des grands classiques, de modèles nouveaux, embrassant d’un même élan Arnolfo di Cambio et Jean Goujon, Giotto et Rembrandt, Brunelleschi et Philibert Delorme. Au-delà du tour de force consistant à mettre en scène quelque 80 figures, Paul Delaroche, une fois de plus, réécrit l’Histoire.
Jusqu’au 17 janvier, Musée des beaux-arts, rue Clemenceau, 44000 Nantes, tél. 02 40 41 65 50, tlj sauf mardi et jf 10h-18h, vendredi 10h- 21h, dimanche 11h-18h. Catalogue, RMN, 336 p., 245 F, ISBN 2-7118-3879-X. Puis, 3 février-23 avril, Musée Fabre à Montpellier.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Les histoires de l’oncle Paul
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°93 du 19 novembre 1999, avec le titre suivant : Les histoires de l’oncle Paul