Art contemporain

Peinture - Politique du tableau

La Figuration narrative ranimée

Le Centre Pompidou porte aux Galeries nationales du Grand Palais un coup de projecteur sur la Figuration narrative, quarante ans après Mai 68.

Par Christophe Domino · Le Journal des Arts

Le 24 avril 2008 - 876 mots

Après les Nouveaux Réalistes en 2007, les Galeries nationales du Grand Palais offrent une relecture chronologique de la Figuration narrative. En pleine effervescence commémorative de Mai 68, cette exposition s’attarde sur le contexte historique et idéologique du mouvement, au point d’en négliger la portée artistique et formelle.

PARIS - À l’heure des célébrations de Mai 68, de ses causes et conséquences, la relecture de ce moment français qu’est la Figuration narrative est prise elle aussi par l’attention au contexte historique. Avec le risque qu’elle ne soit réduite qu’à cette dimension. Conçue par Jean-Paul Ameline et Bénédicte Ajac pour le Centre Pompidou aux Galeries nationales du Grand Palais, l’exposition se donne, d’ailleurs, de manière très historienne dans son parcours, alors que le catalogue est construit autour d’une consistante chronologie-anthologie. Mais nouer les œuvres à leur origine contextuelle risque d’en faire des documents pour l’histoire, et rien d’autre. Sont-elles visibles dans cette seule perspective ? Le regard mélancolique est-il leur seul destin ? Le (double) pari d’un usage politique de la peinture aurait-il connu là un terme ? L’hypothèse historique de la peinture d’Histoire arrive, en effet, à un terme dans les années 1960 : mais c’est sans doute le tableau en lui-même, comme véhicule aux déterminations sociales lourdes, qui marque alors le pas. Ce, bien plus que la verve et l’inventivité de la peinture comme médium (sa puissance de synthèse, dont l’ambition narrative joue ici pleinement) ou les forces multiples de l’image (prise, reprise, détournée, assumée, ironique,  composée…). Si l’enjeu du politique dans l’art n’est pas moins une aspiration partagée aujourd’hui, ses formes cependant se sont détachées des supports traditionnels.

La nature même des engagements politiques individuels et l’éventail des langages expressifs devraient pourtant ne pas empêcher de trouver dans la Figuration narrative une proposition qui porte une intelligence critique à la filiation qui déborde le champ dans lequel elle s’est pourtant inscrite : le tableau.

Courant de 1960 à 1972, le parcours réunit dix-neuf artistes (si l’on compte « les » Malassis : Cueco, Fleury, Latil et Parré et Tisserand pour un). Il s’appuie sur la chronologie des expositions, à la galerie Mathias Fels dès 1961 ; au Musée d’art moderne de la Ville de Paris en 1964 pour « Mythologies quotidiennes », avec l’engagement du critique Gérald Gassiot-Talabot aux côtés de Rancillac et Télémaque ; au Salon de la Jeune Peinture où Arroyo et Aillaud affirment une exigence idéologique. De controverses artistiques en débats politiques, l’effervescence est entretenue par les artistes (ces « faux blousons noirs », ces « yéyés », ces « voyous » que veut démasquer Restany), qui participent directement à l’organisation des manifestations.

Cet engagement dans le geste public de l’exposition n’est sans doute pas pour rien dans les liens qui se tissent entre des individualités d’origines différentes, en plus des sympathies de gauche et d’extrême gauche, et du désir de s’affranchir tant de l’abstraction que du Pop. De leurs cheminements politiques comme esthétiques, mais aussi de leurs divergences, ils rendent compte avec lucidité dans les entretiens d’aujourd’hui (ainsi dans le catalogue de l’exposition). Ils ne tirent, en revanche, guère de conjectures sur le destin de leurs positions ni de leur peinture, bien qu’ils aient pour beaucoup poursuivi leur travail et leurs carrières avec une belle permanence, comme le montre le livre de Jean-Louis Pradel chez Hazan.

Ironie critique
L’exposition, avec un rythme de la scénographie qui réussit assez bien à casser un alignement réducteur des œuvres, laisse voir en tout cas les partis pris les plus partagés, ceux du refus de la matière picturale (la « haine de la pâte », dira Télémaque) au profit paradoxal non pas de la non-peinture, mais en particulier de l’acrylique en aplats très plats et de couleurs commerciales. L’ironie critique s’affirme dans le melting-pot de références et d’emprunts aux images du cinéma, de la mode, de la BD, de la publicité, de la communication, de la presse, de la provocation et du vulgaire, toutes tentations qui ont à leur suite intégré totalement la production artistique.

Ce qui demeure de tout cela, c’est bien le montage, en écho bien sûr au cinéma, mais aussi au collage (on pense à Heartfield) et à une claire intelligence de l’époque. L’usage de l’épiscope comme moyen de composition-intégration chez Erró, de l’aérographe chez Klasen, de tous les moyens de « refroidissement », dont la photographie, nourrissent des régimes de l’image indiscutablement précurseurs d’enjeux qui n’ont pas fini, au prix le plus souvent depuis de l’évacuation de la peinture, d’imprégner les arts visuels. Cet exercice de lecture formelle demeure une bonne raison de s’attarder, comme une méditation non usée, sur la fragmentation de l’espace contemporain de la visibilité et sa signification politique. Restera encore à s’attacher à la personnalité picturale des uns et des autres, de Gianni Bertini, qui mériterait d’être plus vu, de Stämpfli, de Fahlström, irréductible, de Monory, de Télémaque.

Figuration Narrative 1960-1972

Jusqu’au 13 juillet, Galeries nationales du Grand Palais, 3, avenue du Général Eisenhower, 75008 Paris, tlj sauf mardi 10h-20h, mercredi 10h-22h. Cat. Figuration Narrative 1960-1972, coéd. RMN/Centre Georges Pompidou, 350 p., 49 euros, ISBN 978-2-7118-5360-1. Jean-Louis Pradel, La Figuration Narrative, Hazan, 216 p., 29 euros, ISBN 978-2-7541-0289-6. Quand L’art prend le pouvoir, Figuration Narrative 1960-1977, documentaire de François Lévy-Kuentz 2 x 26’, DVD RMN, 24 euros.

Figuration Narrative

- Commissaires : Jean-Paul Ameline et Bénédicte Ajac
- Scénographie : Laurence Le Bris
- Nombre d’artistes : 19
- Nombre d’œuvres : 101
- Surface d’exposition : 1 400 m2
- Itinérance : à l’IVAM, Valence, (Espagne) à l’automne

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°280 du 25 avril 2008, avec le titre suivant : La Figuration narrative ranimée

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