Sculpture

Camille Claudel - Portrait d’une plasticienne

Par Maureen Marozeau · Le Journal des Arts

Le 24 avril 2008 - 715 mots

L’œuvre de Camille Claudel se dévoile sous un nouveau jour au Musée Rodin dans une exposition qui ne cède pas aux poncifs sur l’artiste.

PARIS - C’est avec une certaine appréhension – heureusement vite écartée – que l’on peut aborder la rétrospective que le Musée Rodin consacre à Camille Claudel (1864-1943). La sculptrice aurait en effet pu subir le même sort que Marie-Antoinette, actuellement à l’affiche des Galeries nationales du Grand Palais (lire le JdA n°278, 28 mars 2008). Prétexte à une sensiblerie exacerbée, la reine de France est présentée au travers du prisme de son destin tragique. La prise en otage émotionnelle n’est fort heureusement pas au menu de la chapelle de l’Hôtel Biron.

Poncifs évités
« Passion », « génie », « hystérie », les commissaires Véronique Mattiussi et Aline Magnien se sont allégrement débarrassées de tous ces poncifs pour reconsidérer le travail d’une plasticienne à part – l’internement de la sculptrice durant les trente dernières années de sa vie n’est même pas mentionné. La liaison orageuse avec Auguste Rodin est implicite, mais elle ne constitue pas le cœur du sujet. Les deux versions d’un buste exécuté en 1892 (plâtre et bronze), ainsi qu’un dessin au fusain assurent la présence silencieuse mais aucunement écrasante du maître. Si le terrain n’est pas neutre – nous sommes après tout au sein de l’ancienne demeure du sculpteur –, l’ombre de Rodin s’efface immédiatement devant cette présentation qui alterne espaces feutrés (où débute le parcours de l’exposition avec une évocation de la sphère familiale de l’artiste) et respirations à la lumière naturelle (dans la nef où trône le chef-d’œuvre L’Âge mûr).

L’élément biographique n’est pas pour autant éludé. On apprend ainsi, grâce à L’Album de confessions, rempli par Camille Claudel en 1888 – elle avait alors vingt-deux ans – que son idée de la misère est d’être « mère de plusieurs enfants », que ses héros de la vraie vie étaient les célèbres assassins Pranzini et Troppmann et que la qualité qu’elle préférait chez une femme était « de bien faire enrager son mari ». Malgré le recul qu’il convient d’avoir devant un tel document, il est tentant de voir s’esquisser le profil d’une jeune femme fière et indépendante, choquant volontiers le bourgeois. Sa féminité apparaît comme un handicap dont elle se serait volontiers passée – sa détermination a fait d’elle la seule femme à tailler le marbre, tâche ardue habituellement réservée aux hommes. Ce goût de la liberté se retrouve ici dans son imagination et son originalité technique, saluées par ses admirateurs à l’époque, à l’image de la chevelure ciselée d’une version en marbre de La petite châtelaine ou encore l’envoûtante Valse et son centre de gravité excentré. L’artiste ayant détruit une grande partie de sa production, le corpus ici présenté décline les versions d’une même œuvre au gré des médiums (plâtre, bronze, céramique, marbre, terre cuite), témoignages d’une évolution notable de la composition. Son choix du marbre onyx, qu’elle allie au bronze (Profonde Pensée et La Vague, indéniablement empruntée à Hokusai), et son travail sur les multiples la révèlent comme une artiste à l’écoute de son époque et des nouveaux courants artistiques, tels le Symbolisme, l’Art nouveau et le Japonisme. Si elle choisit de sculpter des corps dénués de perfection, Claudel sait leur donner de la légèreté grâce à la qualité végétale des détails (chevelure, drapés…).

Sans doute choqué par l’audace d’une artiste femme, l’État français ne lui a jamais passé de commande. Quelques mécènes l’ont soutenu, comme les Rothschild et la Comtesse Arthur de Maigret et son époux, dont les bustes sont exécutés dans la tradition italienne, en écho au Jeune Romain/Mon frère à seize ans, portrait de Paul réalisé en 1884. Voilà encore une facette méconnue de cette artiste trop longtemps restée dans l’ombre de son frère et de son amant. Saluons enfin le catalogue de l’exposition, dont les essais passionnants (sur la difficulté d’être une femme artiste à la fin du XIXe siècle, sur la réception critique de l’œuvre de Claudel…) parachèvent ce portrait d’une fraîcheur réconfortante.

CAMILLE CLAUDEL, UNE FEMME, UNE ARTISTE

Jusqu’au 20 juillet, Musée Rodin, 79, rue de Varenne, 75007 Paris, tél. 01 44 18 61 10, www.musee- rodin.fr, ouvert tlj sauf lundi 9h30-17h45, mercredi 9h30-21h. Catalogue coéd. Musée Rodin et la Fondation MAPFRE, Gallimard, 424 p., 39,95 euros, ISBN 978-2-35-377-006-9.

CAMILLE CLAUDEL

- Commissaires : Aline Magnien et Véronique Mattiussi
- Nombre d’œuvres : plus de 80 sculptures en marbre, terre cuite, plâtre, onyx et bronze, une dizaine de gravures et dessins, ainsi que des photographies et des correspondances
- Mécénat : Fondation Mapfre, Banque Barclays, Jaulin

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°280 du 25 avril 2008, avec le titre suivant : Camille Claudel - Portrait d’une plasticienne

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