Deux attitudes, un seul marché. Dans le petit monde du design contemporain, on découvre les décennies les plus récentes tandis que les jeunes créateurs se livrent à l’exercice de la pièce unique ou de la série limitée. Manière de s’affranchir de la production industrielle ou encore des rééditions.
Deux sources donc. La première constituée par les créations de designers qui n’envisageaient même pas de voir un jour leurs productions franchir les portes d’une galerie d’art, à l’instar de Pierre Paulin, redécouvert et réhabilité par la galerie Alain Gutharc, en juin et juillet 2000. Une monographie en quelque sorte, orchestrée par Avelino Abarca, collaborateur de la galerie, qui s’amusait, là, à faire “un pied de nez au milieu du design comme au milieu de l’art, parce qu’il est grand temps de résorber le rapport simplement mercantile avec l’objet, et d’abandonner définitivement les arrogances antagonistes”.
Bel élan qui a su séduire un public jeune et plus habitué au parcours Marais-Bastille de l’art contemporain qu’à celui du Carré Rive gauche ou de la rive gauche mobilière. Résultat, sur quinze pièces exposées, quinze pièces vendues, à des prix très convenables puisque les trois fauteuils 535 sont partis à 45 000 francs, le canapé Abcd pour le même prix et un fauteuil Élysée à 10 000 francs. Ce qui est très en dessous du prix atteint par le Ribbon Chair du même Paulin, mais recouvert d’un tissu signé Jack Lenor Larsen, lors d’une récente vente Christie’s, soit 19 000 dollars !
Dans la série des modèles redécouverts quoique produits industriellement, la chaise Universale de Joe Cesare Colombo, actuellement exposée au Centre Pompidou dans le cadre de “La Donation Kartell”, éditée à quatre cent mille exemplaires en vingt ans atteint, d’occasion, la coquette somme de 4 000 francs. Tandis qu’une chaise de Verner Panton, hommage plastique à la Zig Zag de Gerrit Rietveld, culmine à 3 800 francs, qu’une chaise Fil de Bertoia éditée par Knoll “fait” 2 000 francs et qu’un fauteuil et une banquette Djinn d’Olivier Mourgue valent ensemble 32 000 francs. Les trois, produits phares des années soixante-dix. Tandis que, de la même époque, le fauteuil La Mama de Gaetano Pesce atteint en vente publique à New York un record de 15 000 dollars…
La seconde source, beaucoup plus récente, provient des pièces uniques et des séries limitées créées par les “jeunes créateurs”. En tête desquels on retrouve l’Israélo-Anglais Ron Arad, l’Australien Marc Newson, les Français Garouste et Bonetti et Martin Szekely. Du premier, un fauteuil édité à vingt-cinq exemplaires il y a moins de dix ans, le prix est passé de 100 000 à 200 000 francs en à peine deux ans. Du deuxième, un canapé édité à six exemplaires atteint aujourd’hui 350 000 francs. Des troisièmes, le cabinet Olaf, en bois laqué, feuille d’or et feuille d’aluminium, édité à huit exemplaires, est mis en vente 80 000 francs ; dans quelques années, la rareté et la spéculation en décupleront le prix. Ainsi, du quatrième, la bibliothèque Sartagno, créée en 1998, tirée à huit exemplaires et vendue 45 000 francs, s’arrache aujourd’hui à 95 000 francs.
Dans les galeries consacrées au design, le constat est clair et la voix unique : “Plus les collectionneurs d’art contemporain sont pointus et mieux ils comprennent ce que nous faisons. C’est vrai qu’actuellement tout s’enflamme, comme s’il avait fallu attendre la fin du siècle qui a vu l’avènement du design pour qu’enfin le design soit revendiqué comme création à part entière.”
Pièces épuisées, pièces numérotées, pièces uniques, le design contemporain trouve ses nouveaux fidèles au sein des collectionneurs d’art contemporain. C’est la raison qui a poussé Didier Krzentowski à ouvrir sa galerie Kreo rue Louise-Weiss, là où se sont regroupées les galeries d’avant-garde. Et mieux, à en ouvrir une seconde, beaucoup plus vaste et remarquablement aménagée par les architectes Marrec et Combarel, à cent cinquante mètres de la première.
Gaetano Pesce : le magicien de l’aléatoire
Bref, tout semble aller pour le mieux dans le petit monde du design à collectionner dont le champion toutes catégories n’est autre que l’Italien Gaetano Pesce, le magicien de l’aléatoire, le manipulateur de pièces uniques produites industriellement et dont la dernière trouvaille, la chaise Nasa, même forme mais de densité différente, de la plus molle à la plus dure, s’arrache déjà à plus de 70 000 francs.
Mais, une fois encore, tout n’est pas si simple. En marge des collectionneurs avertis qui ne s’intéressent qu’à des pièces exceptionnelles dont la rareté augmente proportionnellement le prix, d’autres, moins argentés, se contentent de rééditions des grands classiques du XXe siècle, ou encore parient sur l’avenir en mettant au frais des produits industriels mais signés de grands noms actuels comme Philippe Starck, Ross Lovegrove, Alberto Meda ou encore Maarten Van Severen. Parce qu’il s’agit ici, tout simplement, de conjurer l’avenir, d’investir dans la rareté future à moindre prix.
Le pinson fait un nid de crin et pond des œufs roses tachés de brun. Le goéland choisit l’algue et ses œufs sont bleus tachés de noir, quant à la pie, elle pose ses œufs également bleus tachés de noir, dans un nid de boue... La cinquantaine alerte, investisseur et collectionneur, Marcel Brient s’amuse à raconter que sa première collection, entamée à sept ans, était faite de nids d’oiseaux. Le sourire gourmand, l’œil en coin, le regard acéré, il enchaîne sur son portrait réalisé par son ami Gonzales-Torres. Un portrait en bonbons et qui donc se modifie, disparaît, réapparaît... Côté art, son premier achat a été une litho de Miró. C’était il y a longtemps. Depuis, Kandinsky et Chagall, Lasner et Christo, Polke et Richter, Kelly et Koons, Mariko Mori et beaucoup d’autres ont traversé sa vie. Ceux-là, tous ceux-là, on avait eu l’occasion de les apprécier lors de l’exposition Passions Privées organisée par le Musée d’art moderne de la Ville de Paris.
Collectionneur d’art donc. Avec une progression constante depuis le moderne fondateur jusqu’au plus contemporain.
Depuis, la collection s’est ouverte, enrichie. Le design est venu cohabiter avec l’art. J’avais déjà quelques meubles et objets de Diego Giacometti et des lampes co-créées par les deux frères, Diego et Alberto. Au fond, ce qui me touche et m’intéresse, c’est la matière. Quelle qu’elle soit d’ailleurs, le bronze et le plâtre, mais aussi les matériaux composites. Il était donc logique que je m’aventure dans ce monde de matières que constitue le design.
En moins de deux ans, Marcel Brient, par ailleurs membre de la Commission d’achats du Centre Pompidou, est parti à la rencontre des plus grands créateurs de la seconde moitié du XXe siècle : Panton, Paulin, Olivier Mourgue, Branzi, Eames, Sottsass... et aussi des plus actuels tels Szekely, Newson, Arad... Et d’insister sur la matière, la forme, l’esthétique qui résument si bien, synthétisent si parfaitement le monde d’aujourd’hui. Marcel Brient achète aux créateurs, aux galeristes et dans les ventes. Mais c’est avant tout le jeu de la découverte, de la surprise, du risque, de l’aventure, qui l’anime : Découvrir, acheter, vendre, échanger, c’est passionnant. Collectionner c’est bien sûr aimer, posséder, oublier. Mais c’est surtout la spéculation qui est amusante. Parce que là on pénètre le monde du pur aléatoire.
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Contemporain à tout crin
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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°113 du 20 octobre 2000, avec le titre suivant : Contemporain à tout crin