Estimant que « tout genre est capable d’une vision et d’un développement supérieurs, lui permettant de revendiquer le statut d’œuvre d’art », Caspar David Friedrich (1774-1840), incarnation du Romantisme allemand, a transformé le paysage en motif de méditation religieuse, en même temps qu’il y projetait un univers intérieur. Dans une monographie au plus près des œuvres, Werner Hofmann tâche d’identifier les moyens picturaux utilisés par l’artiste pour peindre cette « tragédie du paysage », dont parlait David d’Angers. Sans épuiser la polysémie d’une peinture riche d’énigmes et de mystères.
Dans un précédent ouvrage, Une époque en rupture, 1750-1830, Werner Hofmann avait consacré de pénétrants développements à l’œuvre de Caspar David Friedrich et à sa conception du paysage, à travers notamment le Retable de Tetschen, ce “manifeste peint qui élève le paysage au rang d’icône ou plus exactement le sacralise”. L’artiste rompt ici avec l’espace unifié de la perspective centrale, auquel il substitue une vision polyfocale, et opère ainsi un retour aux structures propres à l’image médiévale et à l’icône, “un retour novateur” qui accompagne le renouveau spirituel porté par la génération romantique. L’auteur insiste ainsi sur le contexte religieux et philosophique dans lequel le peintre a grandi et travaillé. Face à la difficulté de mettre en évidence une influence directe, Hofmann montre comment Friedrich exprime avec des moyens purement picturaux des idées identiques à celles des écrivains et penseurs contemporains.
Ces moyens, quels sont-ils ? On trouve dans Le Moine au bord de la mer et L’Abbaye dans un bois de chênes, une “formulation paradigmatique” des deux modes de composition mis en œuvre par l’artiste : “le plan vertical quadrillé par des axes raides entrecroisés qui, en, règle générale, comporte un axe de symétrie, et le plan stratifié horizontal sur lequel le regard dérive”. Un contraste repris dans deux chefs-d’œuvre tardifs, La Mer de Glace et La Grande Réserve. “Il entend instaurer un pont entre la simple imitation de la nature et le style afin de rendre visible le paysage en tant qu’espace d’expériences subjectives et, dans le même temps, en tant que lieu de rayonnement sacré.” Comme Friedrich lui-même l’écrivait, “le peintre ne doit pas seulement peindre ce qu’il voit devant lui, mais également ce qu’il voit en lui. S’il ne voit rien en lui, alors qu’il renonce également à peindre ce qu’il voit devant lui”. L’importance de cette vision subjective invite le commentateur à la prudence, car l’analyse “doit s’interdire de réduire l’intelligence du peintre, qui opère à partir de la polysémie des signes, à un code de significations univoques qui prétendrait détenir les clefs de tous les détails sans en omettre un seul”. Les interprétations les plus diverses en effet n’ont pas manqué, et des notes et une bibliographie auraient sans doute accru l’utilité de l’ouvrage, par ailleurs magnifiquement illustré. En revanche, le texte est enrichi de lettres et écrits du peintre, qui s’est à plusieurs reprises exprimé sur son art. Non sans pertinence, il a indirectement porté un jugement d’une grande lucidité : “L’un des plus grands mérites et peut-être le plus grand mérite d’un artiste [est] de stimuler intellectuellement et d’éveiller des pensées, des sentiments et des sensations chez le spectateur, quand bien même ce ne serait pas les siennes.”
- Werner Hofmann, Caspar David Friedrich, éd. Hazan, 296 p., 210 ill. coul., 495 F. ISBN 2-85025-736-2.
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La tragédie du paysage - Friedrich vu par Werner Hofmann
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°117 du 15 décembre 2000, avec le titre suivant : La tragédie du paysage - Friedrich vu par Werner Hofmann