En France comme aux États-Unis, beaucoup se penchent sur les origines du Pop’Art. Mais qui répond à son impact sur la génération actuelle ? Une question difficile, car le Pop tient plus d’une « attitude » que d’un style. Il est une façon d’ériger en œuvre d’art ce que les élites culturelles veulent ignorer, voire mépriser. Sur fond de mass médias, de culture urbaine et de société de consommation, avec pour objets cultes une pin-up sexy et souriante, une bouteille de Coca-Cola, ou aujourd’hui l’univers adolescent, les mangas ou les jeux vidéos, le Pop insuffle surtout un vent ludique et coloré.
Alors que certains artistes comme Matthieu Laurette se prennent à la fois pour les héritiers de Warhol et de Guy Debord en voulant parasiter les médias, occuper tous les niveaux de l’information et multiplier “les quarts d’heure de célébrité” warholiens – mais sans réel impact – , d’autres jouent directement avec les codes sociaux. Dans une époque plus que jamais saturée par les signes publicitaires, les photographies issues des magazines, les logos des grandes firmes, les slogans et même les sourires trop commerciaux des acteurs de spots publicitaires constituent la matière première de l’œuvre de Claude Closky. Découpés, rassemblés et mis en boucle jusqu’à l’écœurement, en vidéo ou en collages photographiques, ils gagnent en saveur là où leur fonction première s’efface. Le désir de consommation disparu, ils retrouvent leur rôle de simple image dénuée de valeur marchande. Chez Ora-Ito, designer graphique et artiste, c’est justement la valeur marchande et l’esprit des grandes marques qui sont piratés. Une paire de sandales ou un sac à dos ergonomique siglé Vuitton, de fausses campagnes Macintosh pour des portables camouflage, une villa Gucci ou un concept-store... Ito agit dans le cadre virtuel du Web ou glisse ces reflets d’un luxe inaccessible entre les pages des magazines. Il joue avec la susceptibilité des grandes firmes et sème le doute parmi les esprits avides de consommation.
Dérision, distance et cynisme font partie intégrante de l’esprit pop et certains l’utilisent en parallèle à une autre forme de consommation : le spectacle. Une génération de trentenaires, prolongeant plus que jamais leur adolescence dorée – les “adulescents”– voue un culte à cette période traversée par les séries télévisées, les super héros de dessins animés et les stars éphémères du show-business. Tout cet univers chimérique, que certains prennent pour idéal et cherchent à “fictionnaliser” dans leur propre vie, est pris pour cible par Arnaud Maguet, fils indigne d’un Séguéla. Les recettes de la communication étant intégrées, il les détourne avec un humour grinçant dans des vidéos inspirées des séries télévisées Mac Gyver ou Magnum, ou dans des œuvres qui déclinent des pochettes de disques à l’effigie de quelques pin-up chantantes réinventées. Alors que Pipilotti Rist fait passer ses idées à travers des vidéos reprenant l’idée du clip, l’Anglais Jeremy Deller s’inspire quant à lui du fan club : les ferveurs et les débordements adolescents envers une vedette éphémère sont revus intégralement.
“Personnages à réactiver”
Autant de clichés de la société des mass médias en Technicolor qui promettent un bonheur en carton-pâte. L’univers de Disney est évidemment l’un des plus visés : Ivan Fayard, par exemple, reproduit sur ses toiles les charmantes Blanche-Neige ou de gentilles souris, mais ajoute chaque fois un détail incongru qui remet en question toute l’innocence de la scène. Avec ses “Personnages à réactiver”, Pierre Joseph proposait, au début des années 1990, de replonger dans cet univers. Alain Séchas en réinvente un pour nous : ses sculptures en résine semblent tout droit sorties d’une bande dessinée. Ce sont des chats ou des extra-terrestres au regard innocent à qui l’on aurait confié, comme chez Walt Disney, une vie sociale et humaine. Pourtant, nul ne trouve chez Disney une démonstration de suicide, des chats à l’insulte facile ou une pieuvre dénommée “Mister Mazout”... Cette dérision vis-à-vis des phénomènes sociaux, Bruno Peinado la reprend dans son intégralité en y ajoutant les questions de tribu et de réseau. Des installations, des dessins, des wall paintings, mais aussi des T-shirts et des stickers reprennent à l’envers les marques fétiches. Ce sont les codes et icônes des “adulescents”. Ces “madeleines” de Proust contemporaines viennent justifier d’une appartenance à un groupe dont le “badge” – que l’artiste a fait éditer en masse – est l’un des symboles les plus forts. Mais sa dimension critique s’affiche surtout à travers une sculpture en résine : un Bibendum Michelin, noir pour une fois, et représenté le poing levé.
Moins critique, Emmanuelle Mafille réalise des dessins très épurés ou des stickers grand format de couleurs vives : une vision des “adulescents” à travers la mode ou la musique électronique actuelle. Un rose acidulé y apparaît souvent, le même que l’Anglais Simon Periton utilise dans ses œuvres en papiers découpés qui rappellent les napperons des pâtissiers. Le Pop actuel est certainement sucré et coloré, à l’image des œuvres de Stéphane Magnin ou de l’Allemand Michel Majerus qui diffusent leurs couleurs comme des vibrations positives.
Des formes triviales, des couleurs pétillantes
Plus ludiques encore, les artistes japonais – ou même la Française Laure Tixier – utilisent les héros de leur enfance tels Astroboy ou Goldorak et donnent un reflet de leur société à travers les “mangas”. Takashi Murakami réalise ces personnages aux yeux ronds et aux couleurs vives sur des gonflables, des sculptures ou des T-shirts. Mariko Mori les intègre en version sublimée à des vidéos éthérées qui mêlent tradition et technologie. Kenji Yanobe en tire des panoplies enfantines et colorées qu’il met en scène dans ses photographies de science-fiction postnucléaires.
Pour un artiste anonyme qui occupe la plupart de ses nuits à poser des carreaux-pixels de céramique à l’effigie des “Space Invaders” et à s’affubler des points négatifs ou positifs, c’est le jeu vidéo qui est une source d’inspiration. En version grecque, Miltos Manetas préfère Super Mario ou encore les Pokemons.
Des formes et des matières triviales, des signes typologiques et des codes issus des mass médias détournés, un champ de couleurs pétillantes, et surtout, en plus du plaisir visuel, une dimension ludique... , le Pop’Art est réinterprété de mille et une façons aujourd’hui et chacun y puise une facette du mouvement en y glissant parfois même un regard ironique, voire critique, sur la société.
L’attitude pop finalement, conformément au titre de l’œuvre de Richard Hamilton, c’est “Tout ce qui rend les intérieurs d’aujourd’hui si différents, si attrayants.” Un reflet du plaisir à un moment donné dans une société.
Le top du Pop passé en revue
Entre art et cultures populaires
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2001, une génération ludique
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°124 du 30 mars 2001, avec le titre suivant : 2001, une génération ludique