Si la tradition orale est très présente en Corse, les arts plastiques, et la création contemporaine en particulier, peinent à se faire une place au soleil. Mais l’analyse des pratiques socioculturelles de l’île ne suffit pas à expliquer une situation que la majorité des acteurs juge plus que préoccupante : lieux de diffusion, formation et marché de l’art, la plupart des indicateurs sont au rouge.
“La Corse est victime du syndrome de la Méduse, explique Alexandre Périgot, artiste d’origine corse, elle reste figée et pétrifiée devant l’art contemporain.” Sur fond de culture identitaire, la création actuelle se voit fréquemment taxée par ses opposants de colonialisme, ce qui ne facilite en rien son intégration dans l’île, à l’heure où le marché de l’art s’internationalise. Parmi les principaux handicaps à surmonter : le nombre des lieux de diffusion publics ou privés qui demeure dramatiquement bas. “Le marché de l’art en Corse est inexistant. Les artistes peuvent tout à fait produire ici, mais pour exposer leur travail, ils doivent partir. La plupart d’entre eux le font d’ailleurs, attirés comme des papillons par les lumières de la capitale”, confie Jean-Paul Pancrazi, artiste qui réside en Corse. Similaire à ce que peuvent expérimenter les artistes vivant sur le continent mais installés en province, la situation est aggravée du fait de l’insularité, même si cette spécificité peut apparaître comme un atout pour certains. “Il existe une confusion généralisée due à une absence notoire du secteur privé qui, lorsqu’il est présent, n’aspire qu’à une seule chose : s’institutionnaliser. Les arts plastiques sont pénalisés par la faiblesse de l’engagement local et national des différents partenaires culturels, artistes y compris”, souligne l’artiste Élie Cristiani. Les créateurs sont amenés, comme sur le continent, à exercer des activités périphériques à leur pratique. Des débouchés existent cependant dans le bassin méditerranéen, en Sardaigne et en Italie. Hormis les structures publiques (Frac, Musée Fesch), rares sont les initiatives privées qui perdurent, faute d’une reconnaissance et d’un soutien suffisants. Plusieurs galeries ont ainsi récemment disparu comme la galerie Artco créée à Ajaccio en 1987 et qui a fermé ses portes en 1999. “La situation reste très délicate en Corse car les arts plastiques ne constituent pas un enjeu majeur pour les élus, qui pensent avoir suffisamment fait de concessions en soutenant le Frac. Mais le Frac ne peut pas et ne doit pas résumer à lui seul toute l’action culturelle de l’île. Il est nécessaire que d’autres structures se mettent en place afin de créer une véritable synergie et ainsi réussir à sensibiliser le public à l’art contemporain”, explique Gabrielle Vitte, ancienne directrice de la galerie Artco et initiatrice d’un projet de résidences d’artistes à Ajaccio. Situé à Corte, au cœur de la Corse, le Frac, malgré son rôle prépondérant et la qualité de sa collection, ne peut en effet assumer à lui seul toutes les missions qu’on souhaite lui voir remplir. Il demeure, en outre, par sa situation géographique, relativement isolé. D’autre part, plusieurs personnes appellent de leurs vœux une clarification de son statut : la double activité de sa directrice, qui partage son temps entre la gestion de son établissement et la fonction de conseillère pour les arts visuels à la Collectivité territoriale de Corse (CTC) fragilise l’image de l’institution qui se retrouve dans la position incommode et ambiguë d’être à la fois juge et partie. Pour Anne Allessandri, directrice du Frac, cette situation ne peut effectivement qu’être transitoire : “Cette affectation à la CTC, obtenue en accord avec la Délégation aux arts plastiques, a été mise en place, à l’origine, pour sortir le Frac d’un isolement qui lui était néfaste, et ainsi mieux l’ancrer dans une réalité de terrain. Même si je souhaite aujourd’hui me consacrer essentiellement à celui-ci, il me semble important de garder des liens officiels avec la politique territoriale de la Corse. Le Frac a un rôle à jouer, des compétences à offrir en ce qui concerne les débats sur les commandes publiques ou les résidences d’artistes.”
Un enseignement artistique inexistant
“Les créateurs corses ne possèdent pas une culture de la rencontre. Ils ont peu l’occasion de confronter leurs œuvres à celles d’autres artistes. Ce système qui fonctionne en vase clos n’est ni très sain, ni très enrichissant. Partant de ce constat, j’ai créé et organisé pendant sept ans une manifestation intitulée ‘Le parcours du regard’1 en espérant briser cet isolement. Tout reposait sur du bénévolat, et demandait une telle énergie que j’ai préféré finalement arrêter l’aventure”, ajoute Maddalena Rodriguez-Antoniotti, artiste à l’origine du projet. Les créateurs semblent en effet avoir peu d’occasion d’échanger leurs points de vue et expériences, et ceci, même pendant le cycle de leurs études : le département Arts plastiques de l’université de Corte ayant été remplacé par une section Arts appliqués moins axée sur la création pure et plus orientée vers le design et la communication. “La Corse est le seul département qui ne dispose pas d’une école d’art, souligne Ange Leccia, artiste qui milite depuis plusieurs années pour sa création. Aussi longtemps qu’une structure pédagogique de qualité ne sera pas mise en place, il sera impossible de fonder un pôle artistique durable. Les opérations ponctuelles ne sont pas à même de créer un lien durable, ni d’opérer un regroupement intellectuel qui offre aux jeunes artistes la possibilité de trouver une émulation favorable”, poursuit-il. Alexandre Périgot, qui lui aussi abonde dans ce sens, propose une solution plus modeste : la création d’une école municipale d’arts plastiques permettant aux étudiants de préparer, au moins, les grands concours des écoles d’art. Mais plus qu’un enseignement destiné à la formation d’une nouvelle génération d’artistes, ce sont les collectionneurs qui devraient, selon Jean-Paul Pancrazi, bénéficier d’une formation. Peu nombreux, en effet, sont ceux qui se risquent sur le territoire de l’art contemporain et ceux qui s’y engagent préfèrent souvent s’adresser à des galeries parisiennes. Aussi étonnant que cela puisse paraître, les créateurs insulaires ne réclament pas d’aides supplémentaires, même si des aménagements ont dû être entrepris comme c’est le cas par exemple pour les aides aux transports, en décalage avec les besoins réels. Mais la véritable attente se situe surtout au niveau du politique. Le processus de Matignon ayant peu fait cas de la culture, la majorité des acteurs locaux demeurent pour l’instant sceptiques sur les modifications que le changement de statut de la Corse pourra entraîner. Ils espèrent cependant voir s’affirmer la volonté des élus par une affectation importante des crédits en faveur des arts plastiques. Un frémissement semble en effet s’opérer spécialement à Ajaccio qui devrait accueillir de nombreux projets en complément des manifestations qu’elle soutient déjà comme “Magnetica”2. Plusieurs propositions de centres d’art mais aussi de résidences d’artistes sont donc à l’étude, notamment le projet “Tarmac” défendu par Élie Cristiani et plusieurs associations.
1. Créé en 1991, le “Parcours du regard” réunissait chaque année plusieurs artistes dont les œuvres, réalisées pour la plupart in situ, ponctuaient les espaces publics et privés du petit village d’Oletta. Organisée pendant la période estivale, la manifestation a pris fin en 1998.
2. Conçue par Alexandre Périgot, “Magnetica”, intitulée à l’origine “Studio Vidéo Danse”, est une manifestation qui offre un regard croisé sur la danse contemporaine et l’art contemporain. La prochaine édition devrait avoir lieu du 21 au 23 mars 2002.
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Création contemporaine
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°131 du 31 août 2001, avec le titre suivant : Création contemporaine