Depuis le Whitney Museum en 1966, aucun musée n’avait été construit à New York. L’American Folk Art Museum inaugure pourtant son nouveau bâtiment sur la 53e rue, dans l’ombre d’un plus grand voisin, le Museum of Modern Art (MoMA). L’institution met en exergue dans le même temps l’origine des objets de sa collection et de ses expositions, tous issus d’un art qualifié de populaire, d’autodidacte, ou d’art brut. Pour les responsables du musée, l’art naïf, vernaculaire, créé par des psychotiques, des fanatiques ou des prisonniers mérite la même considération que l’art traditionnel.
NEW YORK (de notre correspondant) - Le bâtiment du nouveau musée est relativement compact (28 000 m2, pour un coût de 22 millions de dollars) et n’est pas plus large que deux devantures de magasins. Sa taille modeste reflète la volonté des bienfaiteurs de l’institution. Les architectes du cabinet Tod Williams & Billie Tsien (lire le JdA n° 127, 11 mai 2001), qui étaient parmi les dix agences choisies pour concourir pour le projet du MoMA voisin, ont imaginé un éclairage par lumière naturelle des huit niveaux du bâtiment, une référence, selon eux, au Musée Guggenheim de Frank Lloyd Wright situé plus au nord dans Manhattan. Qualifiant cette structure de “maison de l’art”, ils ont créé des espaces spécifiques pour installer des œuvres le long des cages d’escalier et dans les couloirs, à l’image de la présentation d’objets d’art “non académique” dans la maison d’un collectionneur. L’architecture intérieure aux lignes droites peut sembler impropre à abriter des œuvres défiant les limites, créées par des artistes travaillant hors normes, même si l’art populaire et le modernisme ont déjà coexisté, notamment dans la collection d’Abby Aldrich Rockefeller, l’un des fondateurs du MoMA. Alfred Barr avait bâti sa conception de l’art moderne à partir de trois pierres angulaires : le Cubisme, l’Abstraction, le Surréalisme avec l’art autodidacte. Cependant, en dépit de quelques exceptions, le MoMA n’a pas exposé beaucoup d’art populaire depuis 1943. Fondé en 1961, l’American Folk Art Museum a connu plusieurs adresses jusqu’à aujourd’hui. Le bâtiment qui l’abrite désormais de façon permanente tient autant du style Shaker que du style moderne, selon Gerard Wertkin, le directeur du musée. L’immeuble de Williams et de Tsien, avec sa façade en saillie en alliage de bronze, composée de trois panneaux qui lui donne une apparence de masque, est un net progrès par rapport aux anciennes salles du musée, situées dans le hall stérile d’un gratte-ciel du West Side, et dont le loyer annuel ne dépassait pas 10 dollars. Elles seront conservées comme espace d’exposition satellite.
Les nouvelles salles abritent les 4 000 œuvres de la collection permanente du musée ; elles comprennent maintenant un centre d’étude sur l’œuvre de Henry Darger, créateur solitaire de Chicago qui a composé d’immenses collages (et d’épais romans) sur des guerres interplanétaires entre des armées de jeunes filles. Darger (1892-1972), dans le monde de l’art populaire, a hérité d’un titre de vedette nouvellement consacrée. Des œuvres récemment données par Ralph Esmerian y seront également exposées. La plupart des objets sont d’origine américaine, mais le musée ouvre sous un nom différent (il s’appelait jusqu’ici le Museum of American Folk Art, après avoir été le Museum of Early American Folk Art) afin de mettre en valeur son ouverture internationale et se dote d’un logo plus lisible.
Les vétérans de l’art populaire débattront encore longtemps des critères de qualité, du nom qu’il faudrait donner à cet art, et de la nécessité d’avoir un musée qui lui soit dédié. D’autres musées d’art populaire existent déjà aux États-Unis, à Baltimore et à Santa Fe. Certains comparent un tel musée à un zoo, d’autres pensent que créer des musées séparés pour l’art populaire enferme cet art dans un ghetto.
“Ce sont des œuvres qui, quasiment par définition, ne reconnaissent ni les courants établis ni les nouvelles tendances de l’histoire de l’art. Il est donc difficile de regarder ces œuvres dans le même contexte”, déclare Gerard Wertkin, qui préfère le terme ‘vernaculaire’ à ‘hors institution’, et reconnaît que ceux qui critiquent cet art (comme ceux qui l’achètent) ont tendance à considérer les qualités formelles des œuvres comme ils le feraient de n’importe quelles œuvres d’art.
“Le grand art populaire est aussi bon que n’importe quel art. Je crois qu’il faut le traiter avec le même sérieux, l’étudier et le montrer convenablement, et le respecter. C’est le propos du musée, déclare Jane Kallir, co-directrice de la galerie St-Etienne à New York et commissaire d’une exposition itinérante des peintures de Grandma Moses. En agissant ainsi, on tue quelque chose qui est intrinsèque à ce domaine, et qui tient à son contexte et à la motivation du collectionneur qui a [dévalué] cet art.” Cependant, “l’art hors institutions” est de plus en plus intégré au monde de l’art. Dans les années 1970, les artistes autodidactes, dont beaucoup étaient noirs, ont été défendus, surtout par des marchands anciennement hippies. Récemment, Jane Fonda a donné au musée une peinture de Thorton Dial, Man rode past his barn to another day. À présent, les grandes entreprises soutiennent aussi cet art. Une série d’expositions tirées de la collection permanente du musée, intitulées “American Anthem” (Hymne américain), est par exemple financée par Phillips Morris.
“Pour être vraiment validé, l’art populaire doit être montré avec l’art de la même période, déclare John Ollman, de la galerie Fleisher Ollmann, à Philadelphie. Comme ces œuvres sont de plus en plus souvent incorporées à l’art contemporain, les gens utilisent de moins en moins le terme de ‘hors institutions’ et ne s’intéressent qu’aux artistes individuels qui sont importants.”
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Du folklore à Manhattan
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°138 du 7 décembre 2001, avec le titre suivant : Du folklore à Manhattan