À la tête du Centre chorégraphique national d’Aix-en-Provence, Angelin Preljocaj est l’auteur de très nombreux ballets en France et à l’étranger. Considéré comme l’un des chorégraphes majeurs de sa génération, il multiplie aussi les collaborations avec des personnalités aussi différentes qu’Enki Bilal, Air ou Granular Synthesis. Cet été, il présente les 4 saisons... de Vivaldi, un spectacle sur lequel il a travaillé avec l’artiste Fabrice Hyber. Angelin Preljocaj commente l’actualité.
Comment vous est venue l’idée de travailler avec Fabrice Hyber pour vos 4 saisons… ?
J’ai d’abord commencé à réfléchir sur les 4 saisons…, sur la musique de Vivaldi. Lors de mes premières réflexions, j’ai pensé que je pourrais demander à un paysagiste de travailler sur le projet ou à des gens qui travaillent sur la transformation des matières. Puis je me suis dit qu’il y avait quelque chose de trop simpliste dans cette démarche et j’ai commencé à réfléchir à des artistes. Le premier qui m’est venu, c’est Fabrice Hyber parce qu’il est un trublion de l’art contemporain. Il essaye vraiment de changer les perceptions des choses. Il était en même temps le moins évident pour les Quatre saisons de Vivaldi, mais aussi le « plus nécessaire ». La musique de Vivaldi est tellement vulgarisée, voire vulgaire maintenant à cause du traitement qu’on lui a fait subir depuis une centaine d’années, à travers les supermarchés, les sonneries de téléphones portables, les musiques d’ascenseur, qu’il lui faut un traitement de choc. Au-delà de celui que je tente de lui faire subir grâce aux corps, je me disais que l’intervention de Fabrice Hyber, avec ses POF (prototypes d’objets en fonctionnement), pouvait être fantastique, que ceux-ci pouvaient modifier mon propre processus de recherche chorégraphique. Je l’ai appelé tout simplement. Et nous avons tout de suite été en cohérence tous les deux.
Connaissiez-vous déjà bien son travail ?
L’œuvre de Fabrice Hyber est présente aussi bien dans les musées que dans des publications. Les images qu’il véhicule à travers ses œuvres posent sans arrêt des questions. Elles ne figurent pas seulement dans les magazines d’art ; elles circulent aussi ailleurs. Il y a un côté tellement ludique et novateur dans sa remise en cause des comportements humains que beaucoup de monde est très attentif à sa production. Il y a très longtemps que je suis son travail.
Comment s’est déroulée votre collaboration ?
Elle s’est déroulée en deux temps : d’abord, nous avons essayé dans son atelier d’élaborer une sorte de dramaturgie plastique de la scénographie, que nous avons fini par appeler « chaosgraphie ». La deuxième phase s’est faite avec les danseurs dans une relation où Fabrice venait dans les studios de répétition et nous travaillions avec les POF. C’est un peu comme si l’univers de Fabrice dansait. C’est une sorte de vision chorégraphique de son œuvre. Il fallait que l’on ne sache plus si c’était la danse qui s’était habillée de Fabrice Hyber ou si c’était Fabrice Hyber qui avait capturé la danse avec son propre langage. La musique de Vivaldi est très décalée par rapport à ce propos, mais elle possède en même temps un élan vital incroyable. Ce spectacle est assez étonnant en termes d’alliage entre le travail d’Hyber, mon propre travail chorégraphique et la musique de Vivaldi. Je crois vraiment que l’on n’a jamais vu un « truc » pareil.
Que vous apporte la collaboration avec d’autres créateurs ?
J’aime bien l’altérité, la contamination que m’apportent en général les collaborations. Pour la dernière pièce que j’ai faite, N, en 2004, j’ai travaillé avec le groupe Granular Synthesis, un duo d’artistes vidéastes. Mais j’aime bien changer d’univers, de mode d’approche, parce que ceux de Granular Synthesis n’ont rien à voir avec ceux de Fabrice Hyber. En revanche, N était un spectacle très dur, très violent sur la barbarie humaine, la violence. Ici, je voulais vraiment rompre avec cela, passer à une antithèse du programme que j’avais conçu avec Granular Synthesis.
Quels sont selon vous les liens entre les arts plastiques et la danse ?
De tout temps, le corps a été au centre de la peinture, jusqu’à Francis Bacon où l’image du corps tend à s’effacer, à quitter la toile progressiment. Et aujourd’hui, il y a un retour du corps dans la peinture et dans les arts plastiques. Il y a donc des moments où artistes plasticiens et chorégraphes ont des préoccupations extrêmement communes. La seule différence peut-être, c’est que mon écriture se trouve dans le mouvement et le corps est mon « instrument ». Le corps est à la fois le sujet et l’instrument. Dans la peinture, il est seulement le sujet. Dans la danse, il y a aussi une relation très particulière à l’espace. Je donne autant d’importance à l’espace qu’au corps. Il existe une chorégraphie en creux qui s’écrit entre les danseurs, une mobilité de l’espace qui est une œuvre autre, une œuvre en négatif. Au cours des répétitions, il m’arrive de regarder davantage l’espace entre les danseurs, cet espace rendu vivant par les danseurs, chargé d’énergie, de différence de texture presque qui résulte de la proximité ou de la vitesse des corps. C’est peut-être ici où notre différence s’impose, même si le corps en tant que sujet, en tant qu’entité est à la fois au cœur de la peinture et au cœur de la danse.
À travers vos collaborations, cherchez-vous à réaliser une œuvre d’art totale ?
Non, ce n’est pas mon souci. Je ne suis pas du tout à la recherche du spectacle total. Je cherche juste à embarquer quelqu’un dans l’aventure. Je considère que l’art est un mode d’échange entre les êtres humains, entre les spectateurs et les créateurs, mais aussi entre les créateurs eux-mêmes. Et ce sont plus ces échanges qui m’intéressent que l’idée un peu symbolique, enflée, de spectacle total.
Votre compagnie va bientôt intégrer un bâtiment conçu par Rudy Ricciotti à Aix-en-Provence. Quelle est la nature de ce projet ?
Nous attendons avec impatience ce bâtiment que nous espérons inaugurer avant la fin de l’année. Il a été pensé pour la danse. Les lieux de danse sont souvent de vieilles chapelles ou d’anciennes usines rénovées. Il s’agit de réhabilitations, ce qui m’exaspère toujours un peu. Je me demandais : « Mais quand est-ce que l’on va enfin créer quelque chose spécialement pour la danse ? » Je souhaitais établir un cahier des charges, avec ce que je voulais, comment, et puis bâtir sur ces désirs, sur cette utopie de la danse que l’on voudrait. C’est vraiment ce dont je rêvais. Et avec Rudy Ricciotti, c’est exactement ce qui s’est passé. Il a gagné le concours d’architecture sur le concept général de la forme extérieure. Ensuite, nous avons commencé à travailler ensemble. Nous allions enfin faire de cette coquille vide un bâtiment très fonctionnel, avec à la fois une poésie et une convivialité. Nous avons essayé de faire entrer toutes ces contingences dans le projet. Il est aussi le seul centre chorégraphique national en France qui soit doté de sa propre salle de spectacle. Au-delà de ses quatre salles de répétition, il comprend une salle de 400 places, avec un plateau magnifique de 18 m de mur à mur sur 14 m de profondeur. Cette dimension correspond à des jauges énormes, de 1 000 à 1 200 places. Dans une salle de 400 places, où l’on a une relation intime avec le spectateur, on se retrouve en général avec des plateaux « mouchoirs de poche ». Ici, on associe les deux. Nous préférons multiplier les représentations tout en gardant à la fois l’espace pour les danseurs et cette proximité, cette intimité avec le public.
Une exposition vous a-t-elle marqué dernièrement ?
Il y a un travail qui me marque beaucoup, c’est celui de Joseph Beuys. Sinon, je n’ai pas été marqué par une exposition en particulier dernièrement. Aujourd’hui, on organise quantité d’expositions autour de concepts fourre-tout, même si j’y vois parfois des œuvres qui m’intéressent beaucoup.
Les 4 saisons… du Ballet Preljocaj sont présentées les 11 et 13 juillet à Lyon (Grand Théâtre gallo-romain de Fourvières), les 15 et 16 juillet à Ollioules (CNCDC de Châteauvallon), le 19 juillet à Vaison-la-Romaine, le 22 juil. à Udine (Italie), le 26 juillet à Perpignan, puis du 27 septembre au 8 octobre au Théâtre de la Ville à Paris (relâche le 3 octobre).
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Angelin Preljocaj, chorégraphe
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°219 du 8 juillet 2005, avec le titre suivant : Angelin Preljocaj, chorégraphe