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Le Musée Camille Claudel, enfin !

Par Francine Guillou · Le Journal des Arts

Le 29 mars 2017 - 955 mots

NOGENT-SUR-SEINE

Longtemps retardé, le Musée Camille-Claudel ouvre à Nogent-sur-Seine. L’occasion de redécouvrir l’artiste, exposée aux côtés des sculpteurs de son temps.

NOGENT-SUR-SEINE - Sur les bords de la Seine, les Nogentais se préparent à retrouver Camille Claudel (1864-1943), qui a vécu dans cette ville de 1876 à 1881. Quatre années où la  jeune fille (elle a 12 ans à son arrivée), rencontre le sculpteur nogentais Alfred Boucher (1850-1934). Il est celui qui décèle dans ses premières sculptures les qualités d’une grande artiste, celui qui lui ouvrira les portes des écoles parisiennes.

Ce résumé est essentiel pour comprendre le projet du Musée Camille-Claudel, né de plusieurs circonstances. Depuis 1902, Nogent accueille le Musée Dubois-Boucher, issu des dons et legs des fonds d’ateliers d’Alfred Boucher et de Paul Dubois (1829-1905). Un musée dévolu à la sculpture du second Empire et de la IIIe République, entre commandes publiques et goût bourgeois et éclectique. « En 2003, une exposition consacrée à Camille Claudel conduit au projet d’un musée ouvert à son art », explique Cécile Bertran, nouvelle directrice du musée depuis octobre dernier. 2008 est l’année charnière : grâce au soutien de l’État et au mécénat d’entreprises, la Ville acquiert Persée et la Gorgone, un marbre monumental, pour un montant de 950 000 euros. Surtout, elle met la main quelques mois plus tard sur la collection de la petite-nièce de la sculptrice. Avec une quarantaine d’œuvres, Nogent est dorénavant la première collection au monde d’œuvres de Camille Claudel.

Après cinq années de travaux et un chantier à rebondissements (lire l’encadré), le nouveau « Musée Camille-Claudel » a ouvert le 26 mars en présentant les deux facettes de cette histoire des collections. « Il s’agit d’exposer l’œuvre de Camille Claudel remise dans le contexte de la sculpture de son temps, celle de la IIIe République », tiraillée entre l’art officiel et la modernité de certains artistes souvent issus de l’atelier de Rodin, confiait au printemps dernier Françoise Magny, conservatrice en chef honoraire du patrimoine. Grâce à sa force de persuasion, celle qui a conçu le projet scientifique et culturel du musée entre 2012 et 2016 a convaincu 15 institutions de consentir à 62 dépôts et prêts pour l’ouverture, afin d’asseoir le propos scientifique du musée.

Claudel en fin de parcours
Le parcours réserve un certain suspense : pour admirer la collection Camille Claudel, il faut d’abord s’immerger dans l’atmosphère de la sculpture de la IIIe République avec Boucher et Dubois en figures tutélaires. Une salle assez spectaculaire présente les plâtres monumentaux, préparatoires aux commandes publiques. Haut de 3,65 m, le Monument du docteur Ollier (avant 1904), d’Alfred Boucher, veille sur la Statue équestre de Jeanne d’Arc (1889) de Paul Dubois, tout aussi impressionnante. Ces raretés (les plâtres de cette envergure ont souvent fini au rebut à la fermeture d’un atelier) ouvrent à une succession de salles thématiques qui rappellent les différents courants dont s’est nourrie Claudel lors de son apprentissage. L’atelier de Rodin est évoqué grâce à de généreux prêts du Musée Rodin et du Musée Bourdelle. Le mouvement, mis en question, conduit à une modernité et une multiplicité de réponses de la part de sculpteurs tels qu’Antoine Bourdelle, François Pompon et Jules Desbois, tous trois praticiens dans l’atelier de Rodin, sous sa houlette donc.

Également praticienne dans l’atelier du maître, Camille Claudel arrive enfin, dans les dernières salles du parcours, avec La Vieille Hélène, première œuvre de jeunesse datée de 1882. Autour de la figure du couple enlacé, une vitrine montre l’évidente filiation entre Rodin et son élève, entremêlant les œuvres de l’un et l’autre dans les années 1880. Mais pour Cécile Bertran, il est déjà possible de déceler là « un rapport de domination et de déséquilibre chez Rodin, tandis que Camille Claudel travaille à la fusion des corps ».

Le parcours ne tombe pas dans l’écueil de l’anecdote biographique, et se concentre sur le geste de création : le musée veut changer l’image d’Épinal qui, « selon les critiques de l’époque, a fait de Camille Claudel une espèce d’épigone de Rodin sans originalité propre », selon Cécile Bertran. Quatre variations autour de La Valse, présentées dans une salle ronde, illustrent l’infatigable travail de Claudel sur les nuances.

En fin de parcours, Persée et la Gorgone, unique marbre monumental taillé par Pompon sur un modèle en plâtre de Claudel, résume parfaitement le projet du musée : retrouver l’originalité de l’artiste tout en expliquant la genèse de sa créativité dans les œuvres de ses contemporains. Sur ce point, le musée est une réussite.

Un chantier tumultueux

Un temps présenté comme le « premier partenariat public-privé [PPP] pour un musée français », le PPP du Musée Camille-Claudel a connu et connaît encore nombre de vicissitudes. Signé en mars 2012, le partenariat, d’un montant de 12 millions d’euros, devait aboutir à une livraison du bâtiment courant 2014. Entre-temps, le projet scientifique ayant été enrichi, le chantier a pris du retard. Dès 2015, la livraison du chantier est reportée à la demande de la Ville de Nogent, qui juge le bâtiment inachevé et ne répondant pas au cahier des charges initial. Un bras de fer s’engage alors entre la municipalité et le promoteur immobilier SNC-Lavalin, faisant craindre une bataille juridique qui repousserait l’ouverture du musée de plusieurs années. Fin novembre 2016, le conseil municipal vote une « résiliation pour faute », qui lui permet de se désengager du PPP et des annualités d’1 million d’euros qu’elle devait verser pendant vingt-cinq ans à la SNC. Il semblerait que la municipalité s’oriente vers la prise en charge du financement par un emprunt. Le 7 décembre, le promoteur a remis les clés du bâtiment à la Ville. Selon la municipalité, SNC-Lavalin n’a pas encore engagé de recours en justice, sans doute dans l’attente d’une transaction amiable.

Musée Camille-Claudel

10, rue Gustave-Flaubert, 10400 Nogent-sur-Seine, du 1er avril au 31 octobre, ouvert tjl sauf lundi, 11h-18h, samedi et dimanche jusqu’à 19h, du 1er novembre au 31 mars, ouvert du mercredi au samedi 11h-18h, le dimanche jusqu’à 19h. Entrée 7 euros.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°476 du 31 mars 2017, avec le titre suivant : Le Musée Camille Claudel, enfin !

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