Nouveau président du conseil de surveillance de Drouot, Alexandre Giquello doit assurer la difficile mue de l’hôtel des ventes.
Il ne se prénomme pas Daniel, mais Alexandre. Alexandre Giquello, de son nom complet, se retrouve néanmoins dans la fosse aux lions de Drouot, où il a accepté de prendre fin février la présidence du Conseil de surveillance de Drouot Enchères. Cette filiale au sein de la holding (1) s’occupe du cœur du métier : l’exploitation des lieux de ventes et leur image.
Élu à l’unanimité par ses pairs, il prend la suite de Claude Aguttes, qui à 70 ans, a passé la main pour raisons de santé. Une bascule de génération : à 44 ans, l’impétrant pourrait être son fils. Mais aussi un changement complet de style. Le commissaire-priseur à l’ancienne cède la place à un quadragénaire qui n’a pratiquement pas connu la protection du monopole héritée de l’Ancien Régime, disparue en 2001. Il arrive à un moment critique : un siècle et demi après son installation dans le quartier champêtre de la Grange Batelière, l’hôtel des ventes ne va pas fort. Il a su passer le cap du scandale des trafics imputés aux manutentionnaires, qui est toujours à l’instruction cinq ans et demi plus tard. Il a même découvert Internet. Mais, après avoir vu son activité reculer sous l’effet d’une concurrence ouverte aux multinationales, il doit désormais parachever une délicate restructuration du capital. Réticents à investir, certains opérateurs prennent leur distance. Les ventes ne sont pas brillantes. Alexandre Giquello, du moins, entre dans ses fonctions avec un propos, celui de refuser le « passéisme et la résignation » pour insuffler de la vie dans une maison marquée par l’histoire.
Redresser la barre
Cheveu grisonnant à peine rebelle, beau gosse à l’œil gris vert, l’air perpétuellement un peu rieur, il a tout du gendre modèle. On se dit qu’il est né à Versailles, qu’il a dû fréquenter l’Automobile Club et se constituer une jolie famille. Toujours arrangeant, jamais méchant, il ne s’est guère fait d’ennemis : il aura besoin d’un état de grâce. Lui, incurable, se dit « très optimiste », voyant cette « chance formidable d’accompagner un passage important », d’un lieu dont il énumère les atouts : « une place historique, un conseil d’administration investi par les jeunes, un directeur général très actif, qui a redressé la barre », en la personne d’Olivier Lange. « C’est une nouvelle page que nous allons écrire », lance-t-il un rien bravache. Cela ne sera pas facile, car il appelle déjà à « une plus grande rigueur », après des années de laxisme. « Il y a des règles, inscrites au cahier des charges, il y a un esprit Drouot, une marque Drouot, il faut les respecter. » Moraliste en diable, il comprend mal qu’une société tienne ses ventes courantes dans la place, mais ses vacations de prestige à l’extérieur, pour échapper à la contribution à la cause commune. Noble mission, il voudrait aussi réglementer les experts qui, en France, ne sont encadrés par aucun statut. Ce n’est pas un hasard s’ils ont été à l’origine de la plupart des scandales. Certains, condamnés et recondamnés, exercent toujours. Dès son arrivée, Alexandre Giquello a ainsi entamé des contacts avec le conseil des ventes, l’autorité publique censée surveiller le marché, et les chambres syndicales pour trouver le moyen d’agréer les experts à Drouot. Il serait ainsi le premier à vouloir se confronter à ce conflit d’intérêts majeur auquel s’adonnent les experts qui sont aussi marchands. Drouot pourrait également mieux contrôler le phénomène des « ventes montées » par les experts, qui se servent des commissaires-priseurs dont la trésorerie n’est pas brillante pour écouler leur marchandise.
« L’image de Drouot est à optimiser », confesse pudiquement le nouveau dirigeant. « C’est un lieu extraordinaire, une place mythique, mais il faut y remettre de la cohésion, de la rigueur. » Il y voit des expositions, des colloques, à côté d’un restaurant (dont la carte serait confiée à une chouchoute des magazines, Amandine Chaignot). Il se fait lyrique pour délivrer un message d’espoir : « Il faut donner l’envie d’y aller, d’y retourner. Drouot, c’est Paris, c’est l’histoire, c’est l’histoire de notre pays. »
Tout dépend de l’équilibre économique d’une maison où les ventes procurent un maigre bénéfice. La compagnie a donné aux commissaires-priseurs jusqu’à fin 2016 pour se mettre en conformité avec la restructuration du capital décidée en 2002 (lire JdA n° 432). Chacun doit détenir 7 000 parts pour pouvoir tenir le marteau dans les salles. Certains rechignent. « Drouot n’est pas un service de location, mais une assemblée d’opérateurs, plaide-t-il. C’est la tradition et c’est son âme. En même temps, il faut bien ouvrir la maison, et permettre à n’importe quel confrère d’y adhérer… ». Le ticket d’entrée approche quand même les 450 000 €. Alexandre Giquello a la mission d’accomplir cette transformation, avec cette patience dont il a fait preuve plus d’une fois en encaissant des coups pendables en silence, pour ne pas nuire à la cause commune.
L’Italie passionnément
« Il a pris sa place petit à petit, témoigne son assistante Odile Caule qui le connaît depuis ses débuts, c’est un honnête travailleur, très attaché au règlement, toujours à l’écoute, très gentil, trop gentil parfois ». « Il a cette souplesse qui lui permet toujours de surmonter les épreuves ; mais il ne faut pas s’y tromper, il a un caractère bien trempé, sa carrière le prouve », nuance Serge Sobczyinski, amateur et collectionneur, qui l’a connu stagiaire à l’étude de Jean-Claude Binoche.
Leur association qui, avec le temps, a abouti à la création d’une société Binoche-Giquello, a souvent suscité la surprise. « C’est insensé à quel point ils peuvent être différents », reconnaît Serge Sobczyinski, qui est un ami commun. « On dit souvent qu’il a eu de la chance de faire cette rencontre ; mais je pense que Binoche a eu la chance de le rencontrer ». L’un a partagé son prestige et son carnet d’adresses, l’autre lui a offert son sérieux, sa capacité de travail et sa constance. D’autre part, les ennuis judiciaires de Jean-Claude Binoche, pour péchés véniels, l’ont tenu à l’écart du pupitre. « Il est toujours resté fidèle, philosophe ce dernier, nous sommes associés depuis six ans maintenant, nous avons nos désaccords, mais jamais nous ne nous sommes disputés. J’aime prendre des risques ; lui est plus sage, c’est normal, quand on n’a pas de fortune personnelle et qu’on a charge de famille… » Serge Sobczyinski voit en ce passionné d’escrime, dont l’appartement tient lieu de cabinet de curiosités, un « honnête homme de la Renaissance », alors que Jean-Claude Binoche nous semblerait plutôt un personnage caravagesque.
Alexandre a appelé sa fille Lucrezia et son fils Tancrède. Peut-être se sent-il lui-même proche du neveu du Guépard, quand il confie son admiration pour « l’œil extraordinaire » de son mentor. Jeune homme, alors qu’il effectuait son premier stage chez Me Rémi Ader, il a croisé Jean-Claude Binoche à Venise, où un oncle prêtre lui avait trouvé un emploi de guide. « Il connaissait toutes les princesses, moi les serveuses ». Giquello est un nom qui trouve racine dans le Morbihan. Mais sa consonance a dû prédestiner Alexandre à un fort tropisme italien, qui l’a conduit à ses plus belles rencontres, dont celle de son épouse. Il passe ses étés au coeur de Palerme, dont il aime l’agitation composite, l’héritage byzantin et les traces arabo-normandes.
Après une formation en droit et à l’école du Louvre, il a passé l’examen de commissaire-priseur en 1998. Il a repris l’étude de Paul Renaud, autre commissaire-priseur à l’ancienne, avant de fusionner en 2009 avec Binoche. Il est effectivement né à Versailles mais d’un père soixante-huitard, un architecte qui lui a fait découvrir la magie de l’escalator du centre Pompidou, et d’une mère d’origine italienne. Aussi longtemps qu’il s’en souvienne, il a toujours voulu devenir commissaire-priseur, « enfant, j’étais plongé dans les livres d’art ou la lecture de L’Œil ». Il a gardé un souvenir marqué d’un grand-oncle amateur d’antiquités qui l’emmenait chiner aux Puces. Il aime dessiner, peindre des pastiches de la Renaissance, sculpter des personnages en fil de fer. Il collectionne des incunables de la photographie et des ouvrages de la grande période de l’imprimerie vénitienne, adore L’Arétin comme Titien, mais aussi bien les arts primitifs. Lui se définit comme un « cheval de longue course ». En espérant que les lions se contentent de rugir.
(1) La maison mère, Drouot Patrimoine, gère notamment La Gazette Drouot, dont les petites annonces font l’essentiel du bénéfice de la maison.
1970 Naissance à Versailles
2000 Décroche son diplôme. Devient le plus jeune commissaire-priseur de Drouot
2002 Associé de Me Paul Renaud, dont il reprend l’étude
2009 Fusion avec Binoche
2012 Enchère la plus élevée de l’année à Drouot pour une sculpture maya (2,90 M€)
2014 Obtient la vente de la collection du prince de Monaco, avec Jean-Pierre Osenat
2015 Président du conseil de surveillance de Drouot
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Alexandre Giquello : Président du conseil de surveillance de Drouot
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°434 du 24 avril 2015, avec le titre suivant : Alexandre Giquello : Président du conseil de surveillance de Drouot