Nichée sous douze grands voiles de verre, la Fondation Vuitton s’affiche comme un nouveau monument dans le paysage parisien.
PARIS - Implantée en lisière du Jardin d’acclimatation, dans une des parties les plus bucoliques de l’Ouest parisien, la Fondation Louis Vuitton qui vient de naître se dévoile à peine, protégée derrière une corolle de douze pétales en verre translucide. Légèrement éclos, ces derniers dissimulent un éclatement de volumes joliment déformés par des pliures courbes. Baptisés « les icebergs », ils abritent des salles d’exposition reliées par de multiples parcours. En toiture, une succession de terrasses plantées et partiellement abritées par la canopée des voilages de verre offrent des vues exceptionnelles sur l’étendue du bois de Boulogne.
Véritable performance signée Frank Gehry, cet édifice spectaculaire, à la géométrie dégingandée, s’annonce comme un nouvel emblème bâti pour la capitale. C’est que l’auteur du célèbre Guggenheim Museum de Bilbao en Espagne (1997) sait y faire, malgré lui, en matière de marketing architectural, et ce à toutes les échelles : l’Hercule de titane a changé la destinée de la cité basque.
200 ingénieurs
Bien que Paris n’ait nullement besoin d’un quelconque faire-valoir, ce nouveau lieu d’exposition fera date, tant pour l’architecte que pour la profession. En 1994, ce dernier livrait l’American Center dans le quartier de Bercy, lequel, moins spectaculaire, n’en reste pas moins une très belle pièce architecturale injustement oubliée. Dix-huit mois après son ouverture, l’équipement culturel fermait ses portes en raison d’une programmation inadéquate et l’architecte, voué aux gémonies, se voyait accusé de tous les maux. Onze années plus tard, après quelques adaptations réalisées par l’architecte Dominique Brard, le bâtiment renaissait sous la forme de l’actuelle Cinémathèque. L’air de réussite planant autour de la Fondation Vuitton apparaît comme une brillante revanche.
Comme à son habitude lors de chaque projet, le créateur a démarré la conception de ce vaisseau monumental par quelques croquis dont la singularité est cet étonnant trait de crayon continu. « Deux cents ingénieurs ont alors pris le relais pour répondre au geste de l’artiste », explique Jean-Paul Claverie, et qui précise avec humour concernant le coût non communiqué de l’opération : « Ici, l’investissement n’est pas un alibi. » Quoi qu’il en soit, un budget certainement confortable a permis des avancées techniques et technologiques inédites en matière d’architecture, et à Gehry de poursuivre ses expérimentations sur le verre courbe. Entamées à la fin des années 1990 pour la réalisation de la cafétéria Condé Nast à New York, ces recherches trouveront leur pleine expression dans le bâtiment du bureau d’études AIC dans la même ville. Ici, de l’enveloppe à la structure, tout est novateur : les 13 500 mètres carrés de l’enveloppe vitrée sont constitués de 3 600 panneaux uniques confectionnés en Italie et pour la courbure desquels un four a été spécialement créé. L’habillage de plaques de béton blanc fibré, de très fine épaisseur, est fabriqué dans un moule spécifique en fonction de sa place dans l’édifice. Quant aux poutres support des voiles, elles allient de manière inédite la puissance du métal et du bois lamellé-collé. Le bouquet final est la structure principale faite d’un enchevêtrement désordonné d’éléments en acier dont la densité témoigne des efforts qu’elle se doit d’assurer.
Un vaste hall avec deux entrées en vis-à-vis accueille le visiteur. Il s’ouvre d’un côté sur le restaurant, la librairie et un auditorium de 360 places, lequel offre une vue sur le bassin en escalier permettant l’éclairage de la partie enterrée de la Fondation. De l’autre côté, il donne accès aux 3 500 mètres carrés des salles d’exposition. Onze galeries de configuration différente et baignées de lumière naturelle (mis à part un espace en rez-de-chaussée qui permettra des projections) se succèdent selon des déambulations jouant des intérieurs et des extérieurs, confirmant la capacité d’un Gehry à traiter parfaitement un programme. Cet aspect de son travail est trop souvent passé sous silence au profit des performances formelles et techniques.
Ce chef-d’œuvre architectural pourra se visiter pour lui-même, au-delà de l’art contemporain qui y est exposé et vis-à-vis duquel il a la politesse de ne jamais s’afficher en concurrent.
Maître d’ouvrage : Bernard Arnault
Maître d’œuvre : Frank Gehry
Superficie : 11 000 m2 dont 3 500 pour les expositions
Construction : Vinci
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Architecture signée Gehry
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°421 du 17 octobre 2014, avec le titre suivant : Architecture signée Gehry