Jeu d’échecs aux îles britanniques

Par Emmanuel Fessy · Le Journal des Arts

Le 1 octobre 2014 - 565 mots

Si vous n’en avez pas encore  eu l’occasion, allez à Londres (Angleterre) saluer d’étranges petites figurines en ivoire de morse ou en dents de baleine : roi, reine, évêque, chevalier… assis avec un air maussade, aux yeux protubérants. Puis, partez pour Édimbourg (Écosse) découvrir les autres personnages de ce rare jeu d’échecs : 93 pièces découvertes en 1831 sur l’île de Lewis aux Hébrides, 82 achetées par le British Museum, 11, plus tard, par le National Museum of Scotland. Fin 2007, des députés du Parti national écossais (SNP) ont réclamé le retour de l’ensemble sur l’île de Lewis. Les historiens insulaires n’en ont pas vu de justification et ont demandé, puis obtenu, des prêts temporaires, tandis que le British Museum faisait valoir qu’elles avaient été réalisées à une époque où l’île était rattachée à la Norvège et que des millions de visiteurs pouvaient mieux apprécier – gratuitement –  leur originalité dans la grande salle médiévale du musée en les comparant aux objets façonnés dans d’autres pays. « L’affaire » n’a pas resurgi lors de la campagne pour le référendum, car l’identité écossaise n’a pas été débattue avec cette rhétorique chauvine, nationaliste, ce désir de revanche historique contre une colonisation qui peut mobiliser des régions en Espagne, en Belgique ou en France. Ainsi, depuis mars, du nord au sud du pays, l’Écosse organise « Generation », un vaste ensemble d’expositions et d’événements présentant une centaine d’artistes. Le prétexte officiel était la tenue à Glasgow cet été des jeux du Commonwealth, mais la coïncidence avec celle du référendum n’était certainement pas un hasard. Néanmoins, les commissaires ont eu la sagesse, ou l’habileté, d’afficher « 25 ans d’art en Écosse » et non d’art écossais, la volonté de ne pas instrumentaliser les artistes. S’y côtoient des lauréats du Turner Prize ou des noms de la scène internationale, comme Douglas Gordon, Charles Avery, Karla Black, Steven Campbell, Jim Lambie, David Shrigley et d’autres moins connus hors des îles ; certains nés en Écosse, d’autres y vivant, d’autres ayant seulement fait leurs études à Glasgow. Un critique d’art anglais a relevé un intérêt plus prononcé pour la musique (celle des bands pas de la cornemuse) et les questions sociales : il faisait un rapprochement entre les vidéos de Gordon et la littérature gothique écossaise. Il soulignait que, pour des artistes, il fait bon vivre à Glasgow, où étudier et travailler sont certainement plus aisé qu’à Londres. Et c’est sur cette différence que s’est finalement passionné le débat. Refusant de reconnaître que l’hostilité des Écossais était avant tout braquée contre un Westminster conservateur, sous-estimant le ressentiment contre les années Thatcher, le Premier ministre David Cameron a posé une question binaire, « Yes or No ? », au lieu d’interroger les électeurs sur une dévolution accrue de pouvoirs. À question simpliste, réponse directe : « Scotland’s future in Scotland’s hands » (l’avenir de l’Écosse dans les mains de l’Écosse) proclamait d’efficaces affiches montrant les mains d’une femme âgée tenant un nourrisson… Les discussions se focalisaient alors sur le rêve d’un modèle social Écossais, proche du Scandinave, sur une répartition juste de la manne pétrolière, à l’opposé du modèle néolibéral du 10 Downing street et de la City. Désormais, la participation électorale exemplaire, le choix de Glasgow en faveur du yes, imposent de résoudre intelligemment les questions constitutionnelles. Sinon, le Royaume-Uni perdrait à ce jeu d’échecs, comme la construction européenne.

www.generationartscotland.org, jusqu’en novembre

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°420 du 3 octobre 2014, avec le titre suivant : Jeu d’échecs aux îles britanniques

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