PARIS
Les rondeurs joyeuses de ses éternelles « Nana » avaient fini par éclipser l'artiste. Niki de Saint Phalle (1930-2002) est de retour au Grand Palais à Paris, le temps d’une rétrospective bienvenue. Sous des abords ludiques, l'exposition rend hommage à l’originalité, les innovations plastiques, l’engagement politique et social de cette féministe affirmée à l’énergie manifeste.
PARIS - Une forte femme cette Niki de Saint Phalle (1930-2002) ! Bien vu est d’ailleurs ce bref extrait de film qui, dès avant l’entrée dans les salles du Grand Palais, montre l’artiste ajustant une carabine avant de tirer. Une forte femme que la rétrospective concoctée par Camille Morineau remet à sa juste place : une artiste plastiquement novatrice et originale, socialement et politiquement engagée qui, sans dévier de la ligne amorcée dès les débuts de sa carrière, a déroulé une production bien plus diverse que ce que les cargaisons de « Nanas » – aux formats, couleurs et postures divers et variés pour ne pas dire infinis – ayant inondé le marché, et finalement devenus bien ennuyeuses, pourraient laisser croire.
La radicalité de Niki de Saint Phalle réside bien entendu dans « Les Tirs » et toute la production qui en découle entre 1961 et 1970. Une très grande salle leur est consacrée au deuxième niveau du parcours, qui regroupe notamment une belle série de ses œuvres à la fois sacrilèges et terriblement créatives à l’endroit de la peinture, qui voit sa surface transpercée par des projectiles avant de laisser se déverser de la couleur. L’artiste en a fait des rendez-vous de performances publiques, conviant à s’y adonner toute l’intelligentsia des arts, américaine notamment ; ce qui souligne les liens de celle qui, née en France, a été élevée aux États-Unis avant de partager sa vie entre ces deux pays. De magnifiques images d’archives y montrent notamment Robert Rauschenberg, Frank Stella ou Leo Castelli à la manœuvre. Jasper Johns également, auteur d’une pièce spéciale avec des objets accrochés au tableau « shooté ». Mais « Les Tirs » se dévoilent aussi comme des œuvres politiques et sans concession lorsque s’effectuant sur des autels maculés par la peinture, sur lesquels sont regroupés des symboles religieux ou historiques. Le plus cruel étant sans soute celui, entièrement doré, « dédié » à l’OAS en 1962, constellé d’armes, de crucifix et de statuettes de la Vierge (Autel O.A.S.).
Une artiste affranchie
Fille d’une famille très bourgeoise de banquiers pour qui le simple fait de devenir artiste a déjà constitué en soi une rupture, Niki de Saint Phalle s’est d’emblée posée en défricheuse à travers un vocabulaire formel n’appartenant qu’à elle. La première salle est stupéfiante et permet de redécouvrir les tableaux des débuts, dès le milieu des années 1950, où s’esquisse l’appartenance au Nouveau Réalisme à travers l’usage de l’objet sur la toile conjuguée à une solide connaissance de l’abstraction américaine, et de Pollock notamment, dans des compositions alternant violence et chaos, bonheur et joie de vivre ; une dichotomie qui deviendra sa marque de fabrique. Déjà se dessine dans ces paysages la complexité de son langage fait de couleurs saturées et de déformations notamment.
Ressort également de cette exposition l’image d’une femme engagée dans la cause des femmes et bien au-delà. Violentes et presque écrasées sont ses grandes « Mariées » déformées ou ces « Accouchements » constitués de peinture et de jouets du milieu des années 1960, tandis que les premières « Nanas » de 1964-1965 s’imposent telles des déesses puissantes aux formes rebondies, influencées par des cultures anciennes. Avec des formes assumées et des dimensions plus grandes que nature, parfois géantes, ce « Nana Power » libéré se double d’un « Black Power », tant les corps noirs sont fréquents dans ce corpus de travaux, abordant de front la problématique de la ségrégation raciale ; Black Rosy (1965) faisant directement référence à Rosa Parks.
Mais Niki de Saint Phalle n’est pas qu’une femme des années 1960 dont l’œuvre se serait fanée par la suite. Cette rétrospective se clôt sur une très grande salle évoquant les projets d’art public qui l’ont occupée du milieu des années 1970 jusqu’à la fin de sa vie, où à travers des maquettes, un crâne géant ou des totems mêlant diverses cultures, continue de se déployer un univers inventif toujours traversé par des problématiques politiques (tel un dessin raillant George W. Bush en 2001) et sociales, et notamment le drame du sida. Une vie d’engagements et de combats donc.
Commissaire : Camille Morineau
Nombre d’œuvres : environ 200
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Niki de Saint Phalle - Une sacrée nana
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Abonnez-vous dès 1 €Jusqu’au 2 février, Grand Palais, Galeries nationales, avenue Winston Churchill, 75008 Paris, tél. 01 44 13 17 17, www.grandpalais.fr, tlj sauf mardi 10h-22h, dimanche et lundi 10h-20h. Catalogue éd. RMN – Grand Palais, 368 p., 50 €.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°420 du 3 octobre 2014, avec le titre suivant : Niki de Saint Phalle - Une sacrée nana