Brésil - Musée

Splendeur et misère des grands musées

À la faveur d’une expansion récente, le Brésil compte déjà 1 500 musées. Parmi ceux-ci, les dix plus importants lieux publics ou privés de notre sélection rayonnent inégalement.

Longtemps symbole d’une culture élitiste imposée par les Européens, le musée se démocratise depuis trente ans, à la faveur de la croissance économique et du développement du tourisme. En 2011, le ministère de la Culture brésilien a publié un très complet « état des musées » recensant 1 500 établissements. Parmi eux, plus de 700 ont été créés depuis 1991, soit 35 nouveaux musées par an ! Certes, une grande majorité, peu dotée, n’accueille qu’une faible fréquentation dans des zones reculées. Mais la reconnaissance par l’Unesco du patrimoine immatériel brésilien – notamment les musiques régionales – a légitimé la création de musées, parfois de grande ambition comme le Musée Luis Gonzaga ouvert à Recife le mois dernier. Vingt professionnels (1) connaissant parfaitement les musées brésiliens ont été sollicités pour sélectionner les dix plus importants (2).

1  Les institutions traditionnelles
La Pinacothèque, São Paulo

Créée en 1905, son financement est régional et elle a accueilli 353 000 visiteurs en 2013. C’est la principale institution dédiée à la seconde moitié du XIXe et à la première moitié du XXe siècle. Réaménagée pour son centenaire sous l’égide de Paulo Mendes da Rocha, la Pinacothèque est le musée le plus fréquemment cité pour la qualité de son accrochage permanent et le professionnalisme de ses expositions temporaires. Ce musée à taille humaine est complété par sa nouvelle « Estação Pinacoteca », anciens locaux de la police politique, quelques centaines de mètres plus loin. Un agrandissement qui permet notamment d’offrir une chronologie d’un siècle de peinture brésilienne (1850-1950).

Institut Moreira Salles (IMS), Rio de Janeiro
Créé en 1990, c’est un musée privé qui refuse l’aide fiscale. Lové dans la forêt de Rio, ce petit bijou (moins de 1 000 m²) offre une programmation d’une régularité exceptionnelle. Art contemporain, photoreportage ou archives historiques, « l’IMS ne fait pas d’erreur », résume l’artiste Mauricio Dias. Sa collection photographique est hors-norme. Le reste est plus modeste, mais toujours utilisé à bon escient. La programmation est variée, pointue, avec un programme éducatif régulier.

Le Musée d’art moderne, São Paulo
Créé en 1948, réaménagé en 1969 dans sa forme actuelle, son financement est privé, 80 % du budget via la loi Rouanet. Il a accueilli 191 000 visiteurs en 2011. Le MAM-SP possède sans doute, avec son alter ego carioca, la plus vaste collection moderne et contemporaine du Brésil. Créateur de la Biennale d’art moderne de São Paulo, « il voit sa créature manger son créateur », comme dit Felipe Chaimovich, son conservateur en chef. Un temps sans locaux ni collection (!) le MAM-SP survit en concept puis redevient un lieu phare dans les années 1970. Néanmoins, les espaces sont restreints et le public a peu accès à la collection. Lors de la dernière foire de São Paulo, entre deux excellentes expositions temporaires, aucune œuvre de la collection n’était visible. Une situation absurde pour une institution vouée à la valorisation d’un tel fonds.

Musée d’art moderne, Rio de Janeiro
Créé en 1948, entré dans ses murs en 1953, son financement est privé à 40 % grâce à la loi Rouanet. Il a accueilli 250 000 visiteurs en 2012. Bâtiment exceptionnel (signé Affonso Reidy), situation idyllique, histoire riche, le MAM-RJ est une évidence. Lieu d’avant-garde même sous la dictature, le MAM-RJ a subi un incendie, en 1978, qui a détruit son exceptionnelle collection – et un peu de son âme, disent certains. Malgré la donation des milliers de pièces de Gilberto Chateaubriand, l’accrochage de la collection permanente est décevant. Les expositions temporaires alternent grands succès populaires et projets peu lisibles.

Musée d’art du Rio Grande do Sul (MARGS), Porto Alegre
Créé en 1955, il est financé par des subventions régionales. C’est l’un des rares musées importants en dehors du triangle Rio-São Paulo-Inhotim. Si sa collection n’a pas la portée de celles des musées d’art moderne, elle est en revanche d’une grande pertinence locale. Il forme un duo régional de qualité avec la Bienal do Mercosul, qui s’est installée, derrière la Biennale de São Paulo, comme la plus dynamique du pays.

2  Les institutions montantes
Institut Inhotim, Brumadinho (Minas Gerais)

Créé en 2006, son financement privé repose à 20 % sur la loi Rounaet, 80 % étant directement investi par le milliardaire Bernardo Paz. Il a accueilli 293 000 visiteurs en 2012. Une collection récente et déjà hors normes. Un environnement exceptionnel. Un moment de visite inoubliable. Un rêve de mégalomane et un souci du détail de passionné. Un extraordinaire défi de conservation… Tous les professionnels ont du respect pour la conception, de l’admiration pour sa réalisation, quelques doutes sur l’avenir de son développement très (trop ?) rapide. Mais les sceptiques sont rares. En moins de dix ans, ce n’est plus une étoile montante, c’est le lieu d’art contemporain incontournable en Amérique Latine.

Musée d’art de Rio (MAR), Rio de Janeiro
Créé en 2013, son financement municipal repose à 30 % sur la loi Rouanet. Il a accueilli 328 000 visiteurs pour son année d’ouverture. Dans son magnifique double bâtiment, la collection de ce « musée-école » est encore en construction. Mais la ligne définie par le curateur Paulo Herkenhoff est cohérente. Entre l’étage dédié à « Rio sous toutes ses formes », les deux étages plus traditionnels et les projets émergents au rez-de-chaussée, la programmation encore inégale est une belle promesse.

Le Musée Afro-Brasil, São Paulo
Créé en 2006, son financement est régional. Contraint à un projet curatorial complexe, scientifiquement large, éminemment politique, le directeur Emanuel Araujo a relevé le défi de ce jeune musée censé jouer un rôle institutionnel et historiographique majeur. Les dix mille œuvres, d’une pluridisciplinarité souvent délicate à gérer, valorisent les patrimoines brésiliens, afro-brésilien et africain au Brésil.

3 Les musées en difficultés
Le Musée d’art de São Paulo Assis Chateaubriand (MASP)

Créé en 1947, ce musée privé a accueilli 730 000 visiteurs en 2013. Le MASP, signé par Lina Bo Bardi, est l’icône architecturale de la mégapole et son musée le plus visité. Sa présentation originelle, réalisée dans les années 1950 par l’architecte moderniste et son mari Pietro Maria Bardi, est devenue un mythe : toutes les œuvres y étaient montées sur des cimaises de verre dans une seule salle immense. Un modèle dont se serait inspiré le Louvre-Lens pour sa galerie du Temps. Mais les conditions de conservation inadaptées ont entraîné une refonte totale de l’accrochage dans les années 1990. Depuis lors, le MASP est l’objet de critiques et souffre d’un endettement chronique. Face à sa dette de 10 millions de réaux (3,20 millions d’euros) les pouvoirs publics ont mis sur pied en avril une commission spéciale pour sauver le musée. Heitor Martins en est le nouveau président depuis quelques jours. Il a notamment fait ses preuves en sortant du rouge la biennale de São Paulo entre 2009 et 2012, après la fameuse « biennale du vide ».

Le Musée national des beaux-arts (MNBA) (Rio)
Créé en 1937, son financement est fédéral (Ibram). Il a accueilli 150 000 visiteurs en 2013. En travaux depuis dix ans, et encore jusqu’en 2017, le MNBA possède la plus belle collection brésilienne du XIXe : mission française, fresques historiques, peintures clés de l’histoire de l’art nationale. Conservatoire de chefs-d’œuvre, son accrochage est figé, les conditions de conservation sont mauvaises, des vols régulièrement perpétrés montrent la précarité de sa sécurité. Sa fréquentation s’en est terriblement ressentie. Seul musée de beaux-arts de grande stature de Rio (plus de 4 000 m2 d’exposition), sa reprise en main scientifique et touristique est une urgence absolue.

Notes

(1) America Cavaliere, galeriste ; Ana de Hollanda, ancienne ministre de la Culture ; Ana Leticia Fialho, avocate, chercheuse et spécialiste du marché de l’art ; Ana Mazzei, artiste ; Ângelo Oswaldo, président de l’Ibram ; Carlos Alberto Chateaubriand, président du MAM-RJ ; Daniela Stocco, chercheuse en sociologie de l’art ; Eliana Finkelstein, galeriste à São Paulo ; Felipe Chaimovich, conservateur en chef du MAM-SP ; Hervé Chandes, directeur de la Fondation Cartier ; Ivo Barreto, superintendant de l’IPHAN à Rio ; Joël Girard, attaché culturel français à São Paulo ; Leonardo Brant, spécialiste du marché de l’art ; Marta Suplicy, ministre de la Culture ; Mauricio Dias, artiste ; Neville Rowley, historien d’art ; Waldick Jatoba, fondateur de la foire de design de São Paulo ; Thiago Rocha Pitta, artiste ; Tunga à Rio, artiste ; Vik Muniz, artiste.

(2) Le MAC-USP, absent de cette liste, a été à peine moins cité (n°11).

Les effets pervers de la « loi Aillagon brésilienne »

La loi Rouanet, loi fédérale d’incitation à la culture, est devenue en vingt ans une source de financement sans égale pour les musées. Pour être éligible au don, la structure porteuse annonce le budget prévisionnel de son projet culturel, à partir duquel la commission détermine son « droit à capter » (montant maximal de collecte) et le type d’abattement consenti (deux sont possibles). Être éligible au premier (art. 18) permet d’offrir aux entreprises donatrices une déduction totale des dons de la somme versée au titre de l’impôt sur les sociétés. Le second (art. 23) permet aussi une déduction de 100 %, mais sur la somme déclarée (mécanisme Aillagon). La structure entame alors la collecte et délivre ses rescrits fiscaux. Les spécialistes relèvent plusieurs effets pervers. C’est un projet et non une institution qui est éligible. Un musée rédige donc un dossier par exposition. Le système crée des professionnels de la procédure qui se nourrissent de la bureaucratie. Par ailleurs, le 100 % de l’article 18 pose une question de principe. Avec ce transfert d’argent (indirectement) public, l’État délègue sa politique culturelle à des acteurs privés qui ne prennent aucun risque financier, trésorerie mise à part. Le contribuable paie même leur « communication culturelle ». Enfin la fiscalité étant identique pour les fondations d’entreprises, les grands groupes préfèrent investir dans une structure propre pour maîtriser leur image plutôt que soutenir une institution ancienne. Ainsi, le groupe Banco do Brasil organise dans ses centres culturels (CCBB) des expositions à succès (700 000 visiteurs pour Kusama cette année !) mais n’investit pas un centime dans l’enrichissment d’une collection nationale.

David Robert

 

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°414 du 23 mai 2014, avec le titre suivant : Splendeur et misère des grands musées

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