La veille de son décès à l’âge de 104 ans, Oscar Niemeyer travaillait encore sur ses futurs projets. Très influencé par Le Corbusier, il laisse une œuvre riche de plus de 600 bâtiments, tous marqués par un usage immodéré de la ligne courbe. La carrière de l’architecte de Brasilia et du siège du Parti communiste français à Paris épouse les vicissitudes de l’histoire du Brésil.
RIO DE JANEIRO - Mercredi 5 novembre, Oscar Niemeyer s’est éteint à dix jours de son 105e anniversaire, à l’hôpital Samaritano de Rio de Janeiro, au Brésil. La veille, cet éternel actif recevait encore ses assistants à son chevet, pour commenter les projets en cours. Pour prendre la mesure du deuil national, il faut considérer Niemeyer en dehors de la figure incontournable du Mouvement moderne, dépositaire d’un style et d’une époque révolus. Plus qu’un personnage historique, Niemeyer est consubstantiel à l’identité brésilienne moderne. Et à l’identité du béton, un matériau qui lui doit beaucoup.
Rencontre avec Le Corbusier
Niemeyer naît en 1907, lors de la « vieille république » brésilienne. Au milieu des années 1930 il rejoint le studio d’architecture de Lucio Costa, principal urbaniste brésilien, premier mentor et futur maître d’œuvre de Brasilia à ses côtés. Niemeyer y est encore stagiaire lorsqu’il fait en 1936 la seconde rencontre fondamentale de sa carrière en la personne de Le Corbusier. L’architecte franco-suisse est convié à participer, aux côtés de l’équipe de Costa, à une commande publique qui sera considérée comme la première authentiquement moderniste au Brésil : le ministère de l’Éducation et de la Santé, inauguré en 1947 dans le centre de Rio. Avec cette première expérience d’un béton monumental, l’impact théorique et technique de Le Corbusier sur Niemeyer, à l’occasion de cette longue collaboration, est immense. Niemeyer travaille avec rigueur les pilotis, les toits-terrasses, le plan libre, la fenêtre en longueur et la façade libre. Il y ajoute une obsession de la courbe et une recherche fondamentale sur les possibilités physiques de ce matériau, auquel il vouera une fidélité éternelle.
Niemeyer s’impose dans les années 1950 comme l’architecte de référence à Rio, São Paulo et Belo Horizonte – ville dont le gouverneur Jocelyn Kubitschek, un ami, deviendra le président fondateur de Brasilia. Côté collectif, l’ensemble de Pampulha, près de Belo Horizonte, constitue sa première création globale, urbanistique, pluridisciplinaire. On y trouve un musée, un casino, une église, une maison de la danse…
Côté habitat individuel, le succès de la Casa das Canoas et de son célèbre rocher — autour duquel la maison est construite – le conforte dans ses choix esthétiques et fonctionnels. Dominique Jakob y voit « la source de toute sa carrière, moderniste, certes, mais avant tout d’une grande liberté ». L’artiste Tunga, en voisin, connaît l’homme et son travail : « Niemeyer me fascine ; commençant le croquis d’une construction, il dessine son immeuble avant de tracer, derrière, après coup, la ligne d’horizon… »
En 1952, Niemeyer est l’un des architectes choisis pour l’immeuble des Nations unies à New York. Mais c’est en 1957 que commence pour Niemeyer l’aventure matricielle qui fait de lui un architecte mondialement connu, et du Brésil un pays à part dans l’histoire de la discipline : la construction de Brasilia. Aujourd’hui encore, l’esplanade des ministères est une merveille moderne, tandis que les « super-blocs » abritent toujours les hauts fonctionnaires de l’État. Unique ville au monde érigée au XXe siècle, par ailleurs classée au patrimoine mondial de l’Unesco, elle est un hapax dans l’histoire humaine. Au-delà des critiques légitimes sur la ville actuelle, ses bâtiments phares – cathédrale, musée, Parlement – font dire à Dominique Jakob que « le temps a donné raison à Niemeyer. Aujourd’hui l’utilisation du béton est plus souple, plus plastique. On a transformé en norme ce que Niemeyer étrennait en prouesse ».
Niemeyer quitte le Brésil en pleine gloire, lorsque la dictature militaire s’installe brutalement en 1964. À l’étranger et notamment en France, il essaime alors ses constructions courbes, privilégiant toujours les commandes d’institutions culturelles ou éducatives (maison de la culture du Havre, université de Constantine, maison d’édition à Milan). Les critiques pointent l’esthétisme exclusif de son travail, qui grèverait la fonctionnalité. La maison de la culture du Havre est aujourd’hui emblématique du débat : la passerelle d’accès, censée inviter au détour, à la réflexion, n’est jamais empruntée et laissée à l’abandon. De même, le siège du Parti communiste français, réalisé en 1971 place du Colonel-Fabien, à Paris, attire le public. Sa beauté et son intégration à l’univers haussmannien sont louées, mais sa relative obsolescence fonctionnelle est critiquée. Procès politique plus que technique, quand on connaît le travail de designer de Niemeyer réalisé durant sa période française.
Pritzker Prize
La démocratie revenue en 1985 lui permet de reprendre ses quartiers à Rio. Le Pritzker Prize en fait son lauréat 1988. Cette consécration suprême, à l’âge de 80 ans, fige un peu sa légendaire innovation : en enchaînant les commandes publiques brésiliennes, « Niemeyer reprend, durant ces deux dernières décennies, bon nombre de dessins réalisés dans les années 1940 et 1950 », remarque Paulo César Garcez Marins, historien et professeur à l’université de São Paulo.
Aujourd’hui, hormis Brasilia, on vient surtout admirer ses œuvres les plus récentes (le Musée d’art contemporain de Rio-Niterói en 1996, le Musée de Curitiba en 2002, le Mémorial de l’Amérique latine à São Paulo durant les années 1990), tandis que certaines de ses constructions historiques tombent dans un relatif abandon (Casa das Canoas, Casa Amarela…). Fortunes diverses pour les travaux d’un architecte qui laisse derrière lui plus de six cents projets réalisés à travers le monde. Flirtant avec l’utopie si chère à Niemeyer, Dominique Jakob voudrait retenir un point commun à toutes ses œuvres : « Une audace formelle essentielle, en ce qu’elle a changé le regard des gens sur leur environnement, et permis à plusieurs générations d’architectes de croire en des formes a priori impossibles. »
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Le béton perd Oscar Niemeyer
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°381 du 14 décembre 2012, avec le titre suivant : Le béton perd Oscar Niemeyer