Versailles : les yeux rivés vers le domaine

Alors que le bassin de Latone va être restauré, une association veut créer un parc naturel régional

Par Sophie Flouquet · Le Journal des Arts

Le 2 juillet 2012 - 893 mots

VERSAILLES - « L’équivalent du chantier de la galerie des Glaces mais pour les jardins. » Le 25 juin, Catherine Pégard, présidente de l’Établissement public du château, du musée et du domaine national de Versailles (EPV), pouvait se féliciter d’avoir gagné un premier pari : faire signer à un mécène un devis de près de 8 millions d’euros pour engager des travaux sur le bassin de Latone, élément majeur de la composition des jardins de Le Nôtre, que la nouvelle présidente avait annoncé vouloir restaurer dès son arrivée.

Ce sera chose faite à l’horizon 2014 grâce à un nouveau venu parmi les généreux donateurs du domaine, la Fondation Philanthropia, émanation de la banque d’affaires genevoise Lombard-Odier. Mais contempler Latone et son audacieuse composition pyramidale, œuvre de l’architecte Jules Hardouin-Mansart (1687-1689) et des sculpteurs Gaspard et Balthazar Marsy, revient aussi à embrasser les perspectives ouvrant sur l’ancien domaine de chasse de Louis XIV. Donc à s’interroger, inévitablement, sur les conséquences d’une urbanisation qui menace aujourd’hui, telle une épée de Damoclès, ce territoire bénéficiant pourtant d’une mosaïque de protections.

Parc naturel
En cause : le projet du nouveau plan local d’urbanisme (PLU) porté par le maire de la Ville, François de Mazières, contre lequel un recours gracieux a été engagé en janvier 2011 par la Société pour la protection des paysages et de l’esthétique de la France (SPPEF). Ce projet de PLU prévoit notamment d’autoriser des constructions de faible densité sur deux terrains classés monuments historiques, et revenant à l’EPV (Matelots et Mortemets), et de lancer un programme de promotion immobilière sur le site de l’ancienne caserne de Pion. Cette enclave non protégée située en bordure du Petit Parc, sur l’emprise de l’Étoile royale de Le Nôtre, a été récemment vendue par l’État à un établissement public foncier des Yvelines, présidé par François de Mazières. Face à la polémique – qui aurait fait fuir les investisseurs –, ce dernier s’était déclaré favorable à un rachat par l’État ! L’affaire en est, pour l’heure, restée là.

Début juin, l’association Yvelines Environnement a donc prodigué une petite piqûre de rappel. Son projet, soutenu également par la SPPEF, est simple et pourtant ambitieux : convertir ce qui reste aujourd’hui du domaine historique du roi (jardins, Grand Parc, parc ceinturant le Grand Canal, plaine classée de Versailles, domaine mitoyen de Marly récemment affecté à l’EPV) en « parc naturel régional ». Soit une superficie de près de 7 000 hectares qui serait régie par une charte visant à la préserver d’une urbanisation anarchique. Cette labellisation permettrait de donner une cohérence aux protections existant sur cette mosaïque de terrains, disséminés entre 13 communes, dont le consentement préalable reste indispensable à la création du parc régional. Le projet de l’association Yvelines Environnement propose également de reporter le programme immobilier d’une dizaine d’hectares porté par le maire de Versailles sur les 280 hectares de Satory, déjà liés à une opération d’intérêt national (Paris-Saclay). Catherine Pégard, qui devra donner son accord avant le lancement de tout projet sur certains des terrains (Matelots, Mortemets, Marly), pourrait ouvrir ce dossier dans les prochaines semaines. Un sujet sur lequel l’arbitrage de sa ministre de tutelle, qui fut jadis assise sur les bancs des élus écologistes, pourrait aussi donner le la de l’action de la nouvelle équipe de la Rue de Valois.

Saint-Cloud, sa caserne et la politique

C’est une phrase glissée à la page 122 du livre brûlot signé Marie-Célie Guillaume (Le Monarque, son fief, son fils, éd. du Moment), directrice de cabinet de Patrick Devedjian au conseil général des Hauts-de-Seine, qui sème le trouble. « L’Arménien a un projet de rachat d’une caserne désaffectée pour y construire les archives de la Principauté ? Qu’à cela ne tienne ! Le Dauphin va voir le ministre de la Défense et lui demande de ne pas vendre le bâtiment à l’Arménien. Un peu gêné tout de même, mais soumis, le ministre remballe son projet et retire l’offre de vente. » Récit à peine romancé des affrontements politiques récents dans les Hauts-de-Seine (« la Principauté »), ancien fief de Nicolas Sarkozy (« le Monarque ») où son fils (« le Dauphin »), a fait une implantation éclair, l’ouvrage éclairerait-il d’un nouveau jour l’affaire de la caserne Sully de Saint-Cloud (lire le JdA no 361, 20 janv. 2012) ? Depuis plusieurs mois, le projet de révision du plan local d’urbanisme de Saint-Cloud suscite l’émoi, notamment pour permettre la vente de droits à construire sur le terrain de la caserne Sully, appartenant au domaine national. Le 5 avril 2012 – soit quatre ans après cette scène qui se déroulait en 2008 ! –, Patrick Devedjian (« l’Arménien ») a finalement pu racheter pour le compte des Hauts-de-Seine une partie de la caserne – le reste devrait être détruit — afin d’y implanter les archives départementales. Dans le JdA no 368, (27 avr. 2012), nous écrivions à propos de cette annonce : « Depuis plusieurs mois, France Domaine cherchait à se séparer, pour la somme de 22 millions d’euros, de ce bâtiment jadis affecté à l’Armée. C’est finalement pour 6,5 millions d’euros que le département des Hauts-de-Seine s’en serait porté acquéreur. Comment justifier une telle différence de prix ? ». Le livre de Marie-Célie Guillaume suggérerait une réponse : gelée quatre ans pour cause de rivalités politiques locales, la transaction aurait finalement été soldée – bradée ? – à quelques jours de l’alternance présidentielle.

Légende photo

Le bassin de Latone - château de Versailles - © Ph : Jean-Marc Manai - © Rmn - château de Versailles

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°373 du 6 juillet 2012, avec le titre suivant : Versailles : les yeux rivés vers le domaine

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