La scène artistique ignore, et c’est heureux, la couleur des passeports. Le poids des artistes étrangers acteurs de la scène française dans l’Artindex élargi en apporte une nouvelle preuve.
Il est toujours quelque peu réducteur de n’aborder une scène artistique nationale qu’à partir des artistes possédant la nationalité du pays, alors même que peuvent y être actifs, et contribuer significativement à la vitalité artistique, de nombreux créateurs venus d’autres nations. Même si, dans le cas de la France comme de tous les pays, ces artistes restent minoritaires sur la scène nationale, parmi les plus consacrés, il nous a semblé important de les étudier plus précisément et même, de nous intéresser à certains artistes qui, bien que n’étant pas français et ne vivant plus dans notre pays, ont contribué pendant plusieurs années à dynamiser la scène française.
Malgré une croyance bien ancrée dans le monde de l’art, les frontières pèsent encore aujourd’hui et les choses sont donc simples pour l’immense majorité des artistes qui possèdent la nationalité française, sont nés en France et y vivent et créent encore aujourd’hui. Dans d’autres cas – beaucoup moins nombreux, il importe d’insister sur ce point – des artistes partagés entre plusieurs pays introduisent une légère part d’imprécision (et il est normal d’être toujours davantage frappé par ce qui est faux que par ce qui est exact, même si le second ne pèse que très peu par rapport au premier). Un cas mérite ainsi d’être signalé, celui de Tatiana Trouvé, qui apparaît comme italienne dans la base de données d’Artfacts, alors qu’elle est également française (et figurerait en 27e position d’un classement élargi de la scène française). Par son parcours, il serait plus approprié de la considérer comme française qu’en tant qu’Italienne.
Le premier artiste « français » (au sens de vivant en France) est en fait… l’Allemand Anselm Kiefer, puisqu’il apparaitrait dans l’Artindex élargi devant Christian Boltanski ! Anri Sala, de nationalité albanaise, deviendrait 6e du palmarès des artistes « de France » (il vit désormais entre Paris et Berlin) ; le Roumain Mircea Cantor se hisserait à la 14e place ; l’Égyptienne – désormais installée aux États-Unis après un long passage en France – Ghada Amer figurerait en 19e position et l’Algérien Adel Abdessemed émargerait au 19e rang. Sur ses 50 premiers artistes, le palmarès des artistes vivant (ou ayant vécu durablement) en France compte donc au moins 9 de nationalité étrangère, soitprès de 20 %.
Kiefer reste allemand
Indépendamment du classement, déjà instructif en soi, que peut nous apprendre la présence des artistes étrangers vivant en France dans l’Artindex élargi ? L’absence de produit de ventes pour Anri Sala sur le marché des enchères exprime une caractéristique commune à bien des artistes français consacrés. On peut y voir un signe d’intégration au groupe des artistes français reconnus, au point de partager certains handicaps avec eux.
À l’opposé, il semble parfois que la nationalité continue à exercer directement ses effets sur les artistes expatriés vivant en France. Ainsi, les deux artistes chinois les plus en vue vivant en France, Yan Pei-Ming (31e) et Wang Du (45e) semblent continuer à souffrir du handicap qui touche les artistes chinois en termes de consécration, bien qu’ils se soient installés dans un pays occidental.
Le cas le plus marquant reste toutefois celui du plus en vue des artistes vivant en France, que l’on ne saurait classer comme « artiste français » sans avoir de sérieuses hésitations. Ce serait, en effet, quelque peu forcer le trait que de présenter Anselm Kiefer comme français, tant son œuvre puise dans ses origines allemandes. En outre, il était déjà fortement consacré sur la scène de son pays d’origine lorsqu’il est venu s’installer dans l’Hexagone. À la différence de Picasso qui avait été « produit » par la scène française ou de Louise Bourgeois, formée et reconnue par la scène américaine, Kiefer doit probablement être considéré avant tout comme un artiste allemand de ce point de vue, mais il n’en reste pas moins qu’il crée en France. Preuve que, bien qu’y vivant depuis de nombreuses années, Anselm Kiefer n’en est pas pour autant devenu un artiste français à part entière, il conserve des prix d’artiste… allemand (plus de 9 millions d’euros de produit de ventes en 2010-2011, contre 734 000 euros pour François Morellet, artiste français apparaissant dans les premiers rangs de l’Artindex se vendant le mieux [source : Artprice]).
Les artistes étrangers vivant en France ne sont décidément pas des artistes « français » comme les autres…
Ce classement indique le rang d’une sélection d’artistes étrangers liés à la scène française si ceux-ci avaient été intégrés dans l’Artindex France.
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Des étrangers très français
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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°371 du 8 juin 2012, avec le titre suivant : Des étrangers très français