L’architecte Renzo Piano s’est construit un parcours aussi clair et lisible que ses bâtiments. Il inaugure cette année des projets à New York, Atlanta et Lyon.
Si Renzo Piano est de l’étoffe des stars, il n’en affiche pas les gimmicks. À l’arsenal théorique et l’uniforme noir de ses confrères, l’architecte italien oppose une verve en roue libre et des pulls en col V. Cet homme élégant cultive les ambiguïtés : il est à la fois rêveur et grand organisateur, solitaire et capable de s’entourer, confiant tout en s’inquiétant du jugement d’une minorité de spécialistes. Le maestro a les pieds sur terre, mais c’est un être des lointains. « Ses constructions sont des vaisseaux, on a l’impression que cela flotte ou que cela va s’envoler, observe le critique d’art [et collaborateur du Journal des Arts] Gilles de Bure. Il y a, sinon une poésie, du moins une poétique du mouvement, de l’ailleurs. »
« Longue et étroite, prisonnière entre une mer trop profonde et des montagnes trop hautes », sa ville natale de Gênes, en Italie, a conditionné son besoin d’évasion. « J’aimerais dire que le choix de l’architecture est raisonné, intelligent, mais j’ai juste cherché ce qui pouvait me faire partir, indique-t-il. Avec l’architecture, j’ai choisi quelque chose qui n’était pas Gênes. C’était Florence, une ville tellement parfaite qu’elle paralyse, qu’elle ne laisse pas de trous pour se retrouver. » Pour se démarquer d’un père constructeur, Piano adopte dès le départ certains tics. Il cherche ainsi la légèreté quand le paternel bâtit du lourd. L’architecte garde toutefois de ses racines une mentalité d’artisan, le goût des vibrations de la matière et le sens du détail.
Abrupt
La carrière de Piano décolle avec le projet du Centre Pompidou, mené de 1971 à 1977 avec son confrère Richard Rogers et un troisième larron, Gianfranco Franchini, que l’histoire a étrangement escamoté. Beaubourg recèle les prémices, voire la quintessence de son œuvre. « On y trouve un “Piano I”, qui est le Centre lui-même, relève Jean-Jacques Aillagon, ancien président du Centre Pompidou. Un “Piano II” avec la tour de l’Ircam, qui porte en elle l’immeuble de la rue de Meaux. Un “Piano III” avec l’Atelier Brancusi, qui renvoie à la Fondation Beyeler [à Riehen, près de Bâle], et un “Piano IV” avec l’aménagement du Forum, qui rappelle les complexes aéroportuaires. » Si Piano, dont les bureaux parisiens sont voisins du Centre, se définit comme un « Quasimodo de Beaubourg », il est difficile de distinguer son intervention de celle de Rogers. « Certains aspects radicaux de Beaubourg, comme l’arrière sur la rue du Renard, viennent sans doute de Rogers. Piano a toujours été moins théoricien que Rogers, moins abrupt aussi », remarque Germain Viatte, ancien directeur du Musée national d’art moderne. Les deux architectes, qui se sont séparés amicalement au terme du projet, abordent différemment leurs métiers. « Rogers est rapide, peut-être plus réfléchi, avec une vision globale, note Bernard Plattner, associé de Renzo Piano. Ce n’est pas un dessinateur comme Renzo. Il a plus de distances par rapport à son équipe. Renzo est un capitaine d’équipe, il est dans la mêlée. » Après le duo avec Rogers, Piano noue une relation très intense avec l’ingénieur Peter Rice, de 1977 à sa mort en 1992. « C’était pour lui un frère d’armes indissociable. Il n’a d’ailleurs pas été remplacé », poursuit Bernard Plattner.
Classique et courbe
Piano a forgé sa réputation en marge des circuits consacrés. « Il n’appartient à aucun réseau italien, note le journaliste Frédéric Edelmann. Il s’est mis aussi en dehors des pôles de sacralisation universitaires comme Harvard et Columbia. Il n’a pas produit des hordes de disciples plus ou moins malencontreux. Il a construit une carrière brillante en contournant presque ostensiblement ces réseaux-là. » Sa « filière » a été celle d’une culture grand chic-grand salon. Grandes fortunes aussi, avec la famille Agnelli, pour laquelle il réalise en 2003 la pinacothèque du Lingotto, à Turin. La haute bourgeoisie protestante proche du Centre Pompidou lui reste également fidèle. Dominique de Menil lui commandera ainsi sa fondation de Houston, au Texas (1982-1986). Piano n’est pas l’architecte du logement, encore moins du logement social, exception faite de la rue de Meaux, à Paris (1991). « C’est un humaniste qui voudrait pacifier le monde. Il n’est pas militant, mais aimerait créer des îlots dans un monde de brutes », assure un proche. Ses bâtiments, même les plus audacieux comme le Centre culturel Tjibaou à Nouméa, en Nouvelle-Calédonie (1991-1998), échappent à toute récupération militante. « J’ai bousculé Renzo pour la dimension politique du centre Tjibaou, rappelle l’anthropologue Alban Bensa. Il voulait universaliser davantage le bâtiment, je souhaitais l’ancrer localement. Il craignait le kitsch, le folklorique. Finalement, le bâtiment incarne quand même l’Océanie »
Bien qu’empreinte de fluidité et de transparence, l’architecture de Piano se dérobe au tamis de la griffe ou du marketing. « Ce n’est pas une architecture de communicant, et, en cela, ses constructions sont peut-être moins flamboyantes que celles de certains de ses confrères », souligne le critique d’architecture Emmanuel Caille. Ses bâtiments se caractérisent aussi par un confort d’usage, sauf peut-être à Tjibaou où l’ampleur du projet, divisé en trois « villages », complique la circulation de l’information. « Il y a au fond deux tendances chez Piano, analyse Frédéric Edelmann. Une classique, fondée sur l’idée de formes élégantes. Et une autre, quand Piano se souvient d’avoir été le partenaire de Richard Rogers. Tout ce qui est courbe, ovoïde, la ballade de Bercy par exemple, vient de là. »
Lorsque Piano regarde dans le rétroviseur, c’est uniquement pour y puiser des éléments susceptibles de nourrir ses chantiers actuels et futurs. De fait, ses projets se chevauchent et se répondent. L’architecte est aussi suffisamment courageux pour remettre en question ses idées premières. « À un moment, les projets s’alourdissent. Renzo a la capacité de revenir en arrière pour trouver les choses fondamentales, indique Alban Bensa. Il va toujours vers quelque chose de simple en apparence, et de techniquement très sophistiqué. »
Des enclaves à New York
Les mauvaises langues lui reprochent une architecture sans prise de risques. « Très souvent il est sélectionné, car c’est l’architecte qui suscite le moins de mauvaises surprises », admet un observateur. Son parcours connaît néanmoins un ratage magistral, l’aménagement partiel de la Potsdamer Platz à Berlin de 1992 à 2000. Sans doute parce que, à l’inverse d’un Rem Koolhaas, Piano n’est pas un penseur de la ville. « Il est plus à l’aise avec des projets qui ne sont pas urbanistiques, précise un observateur. Il est au mieux en l’absence d’environnement urbain majeur autour. »
Avec les extensions du Whitney Museum et de la Morgan Library ou la construction d’un bâtiment pour le quotidien le New York Times, Piano gère pourtant de nombreux projets d’enclaves à New York, ville touffue s’il en est. Le Pritzker Prize obtenu en 1998 n’est pas étranger à ce succès américain. « Il arrive aux États-Unis à une période où l’architecture y est partagée entre la médiocrité absolue et des personnalités radicales, observe Frédéric Edelmann. Une partie de l’intelligentsia n’est pas prête à sauter dans le bateau révolutionnaire. La haute société protestante se reconnaît plus dans le projet de De Menil que dans la salle de concert Disney de Frank Gehry. Piano est la personnalité capable de rester dans des gabarits qui ne sont pas en rupture avec l’imaginaire classique et europhile de ces gens. » Peut-être les Américains aspirent-ils aussi à une ville plus humaine. « Ils se disent qu’un bâtiment ne doit pas juste se poser sur le sol, mais qu’il y a un miracle à faire. Je crois que les Européens ont cette idée dans leur ADN », ajoute Renzo Piano.
Avec une quinzaine de projets menés à partir de l’agence de Paris et une dizaine à Gênes, Piano dispose de suffisamment de clients pour éluder les concours. Le financement privé de mécènes locaux lui a permis d’éviter ce pensum pour le Centre Paul-Klee à Berne, en Suisse (2005). « À un certain âge, vous choisissez vos clients. Dire qu’on est totalement maître serait contre-nature, observe l’architecte. Trop de liberté provoque une déperdition des forces. Je ne suis pas un maître total non parce qu’on m’y oblige, mais parce que ce serait très mauvais. » Le marin qui rêvait du grand large aspire apparemment à une liberté moins bridée que maîtrisée. Sagesse ou pragmatisme ?
1937 Naissance à Gênes. 1971 Création de l’agence Piano & Rogers. 1971-1977 Construction du Centre Pompidou, à Paris. 1977 Création de l’Atelier Piano & Rice. 1986 Ouverture de The Menil Collection, à Houston. 1993 Création du cabinet « Renzo Piano Building Workshop ». 1997 Ouverture de la Fondation Beyeler, à Riehen/Bâle. 1998 Décroche le Pritzker Prize. 2005 Ouverture du Centre Paul-Klee, à Berne. 2006 Inauguration de l’extension de la Morgan Library, à New York, du High Museum of Art à Atlanta (Georgie) et de l’amphithéâtre du palais des congrès de Lyon.
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Renzo Piano
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°237 du 12 mai 2006, avec le titre suivant : Renzo Piano