Le Musée d’art et d’histoire du judaïsme à Paris enquête sur la communauté juive amstellodamoise à travers le prisme de Rembrandt.
PARIS - Rembrandt continue de rester à l’affiche. Après l’important cycle d’expositions en 2006 lié au 400e anniversaire de sa naissance, le Musée d’art et d’histoire du judaïsme, à Paris, met à nouveau le maître à l’honneur dans le cadre de la saison néerlandaise en France. Mais cette fois-ci « il ne s’agit pas de rajouter une énième exposition de beaux-arts », confie Laurence Sigal-Klagsbald, commissaire et directrice du musée. « Nous avons voulu raconter une histoire », celle des communautés juives chassées de la péninsule ibérique qui ont trouvé refuge au XVIIe siècle dans la cité protestante d’Amsterdam. Illustré par un large panel de pièces (peintures, dessins, estampes, objets d’art, manuscrits), le récit est porté par l’incroyable témoignage d’un contemporain de l’événement : Rembrandt.
La Vue d’Amsterdam près de la Haringpakkerstoren de Ludolf Backhuyzen ouvre l’exposition et nous plonge d’emblée dans l’ambiance effervescente de la cité commerçante d’Amsterdam, terre d’accueil pour tous les exilés d’Europe. La communauté juive a trouvé dans cette république florissante le climat privilégié pour s’épanouir culturellement et pour construire un nouveau judaïsme dont elle a été privée par l’Inquisition espagnole. La grande synagogue d’Amsterdam, inaugurée en 1675 avec l’approbation des autorités amstellodamoises, marque dans le paysage urbain sa pleine intégration. Toutefois, en dépit de l’aniconisme protestant, la culture de l’image gagne la sphère juive, comme en témoigne le portrait magistral du banquier Don António Lopes Suasso.
Révolutionnaire
C’est ensuite à travers l’œil de Rembrandt que nous suivons les traces de la communauté juive. Le maître offre une vision affranchie des représentations caricaturales jusque-là prédominantes. Avec le « révolutionnaire » Christ en buste de 1655-1656, Rembrandt s’émancipe du type nordique à la peau et aux cheveux clairs et réinsère cette figure sacrée dans sa judéité. On s’accorde aujourd’hui à penser qu’il a peint cette toile « d’après le vif » en prenant pour modèle un Juif de son voisinage. Le peintre et ses contemporains se font aussi les interprètes de l’Ancien Testament en mettant à l’honneur dans leurs œuvres les figures de Joseph, Abraham ou Agar. Transposant le destin de leur jeune nation dans une dimension biblique, ils s’identifient aux « nouveaux Hébreux » et font de leur pays, les Provinces-Unies, « une nouvelle Israël ». Le tableau de Lambert Doomer mettant en scène François Wijnants et Alida Essingh en Elquanah et Anne venant recevoir la bénédiction d’Eli offre une illustration fascinante de ce processus « d’identification hébraïque ». Par ailleurs, la diffusion des croyances millénaristes dans le monde protestant trouve un étonnant écho dans le mouvement du pseudo-messie Sabbataï Tsevi ou encore dans la Piedra Gloriosa (commentaire du livre prophétique de Daniel) de Menasseh Ben Israël, que Rembrandt illustra par quatre eaux-fortes. Point d’orgue de l’exposition, La Disgrâce d’Aman, venue spécialement de Saint-Pétersbourg, renvoie à une lecture singulière de l’épisode d’Esther, érigée par la nation hollandaise en véritable héroïne patriotique.
L’exposition a ainsi le mérite d’offrir une approche originale en proposant de lire l’histoire des Juifs dans le miroir de l’art du maître hollandais et de ses contemporains. Même si le récit est parfois d’une grande complexité, l’exposition, à travers « le génie libre de Rembrandt », donne à voir et permet de comprendre, selon Laurence Sigal-Klagsbald, « un phénomène culturel et artistique précurseur de la modernité des Juifs en Occident ».
Jusqu’au 1er juillet, Musée d’art et d’histoire du judaïsme, Hôtel de Saint-Aignan, 71, rue du Temple, 75003 Paris, tél. 01 53 01 86 53, tlj sauf samedi et mardi 1er mai 11h-18h, 10h-19h le dimanche et le jeudi 3 mai. Catalogue, 352 p., coéd. Musée d’art et d’histoire du judaïsme et Panama musées, 49 euros, ISBN 978-2-75570-243-9.
- Commissaire : Laurence Sigal-Klagsbald
- Commissaire adjoint : Alexis Merle du Bourg
- Nombre d’œuvres : 186
- Surface d’exposition : environ 400 m2
- Scénographie : Agence Bodin et Associés
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Sur les pas des Juifs d’Amsterdam
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Abonnez-vous dès 1 €Le Musée historique juif d’Amsterdam a consacré l’année dernière une exposition au maître hollandais intitulée « Rembrandt le Juif ». Ce titre provocateur trouve sa source dans l’historiographie qui, depuis le XVIIIe siècle, a eu tendance à « judaïser » l’œuvre du maître, lui prêtant des liens particuliers avec les Juifs. Déconstruisant totalement ce mythe, le Musée d’Amsterdam a démontré la fragilité des indices qui ont servi de base à cette analyse. Au contraire, Laurence Sigal-Klagsbald, commissaire de l’exposition de Paris, mesure davantage son propos et entend prouver par son exposition qu’« il existe bien une singularité de Rembrandt dans son rapport à la judéité ».
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°258 du 27 avril 2007, avec le titre suivant : Sur les pas des Juifs d’Amsterdam