LYON
Grâce à une scénographie audacieuse, « Prison », présentée au Musée des Confluences, fait ressentir au fil du parcours les tensions liées à la condition de détenu. Des objets et œuvres témoignent de l’expérience de la détention.
Lyon. Bruits de clés, portes métalliques, cris étouffés : dès l’entrée de l’exposition, l’univers carcéral est résumé à une bande-son. Un sas éclairé de néons orange invite le visiteur à s’imprégner de ces sons avant d’entrer dans la première cellule, derrière des barreaux orange. Car le dispositif scénographique repose sur trois cellules reconstruites dans la salle du musée, où se trouvent exposés objets et œuvres, comme enfermés. Le visiteur doit traverser ces trois cellules s’il veut approcher les œuvres, il ne peut donc pas rester passif.
Chaque cellule offre un parcours propre, ce qui oblige le visiteur à adapter constamment sa progression. La première cellule en particulier multiplie les panneaux qui entravent la circulation, et il faut parfois revenir sur ses pas pour voir les dessins de détenus (Laurent Jacqua), les témoignages vidéo et les objets bricolés. La circulation devient difficile si plusieurs visiteurs sont présents en même temps. Une des figures qui surnage de ces nombreux documents est celle du surveillant, ou maton : pour la cheffe de projet Marianne Rigaud-Roy, les photographies d’Arnaud Théval où les gardiens apparaissent déguisés révèle « l’ambivalence de leur rôle et de leur figure » au sein du système carcéral.
Autre cellule, autre ambiance, mais toujours derrière des barreaux : une vitrine centrale expose des documents écrits et des objets produits par des détenus, pour évoquer la manière dont ils occupent leur temps. La plupart des objets viennent des collections du Musée international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge à Genève, où l’exposition s’est tenue au printemps 2019. Comme l’explique la cheffe de projet, « les visiteurs de prison de la Croix-Rouge se voient souvent confier ce type d’objets. Quel que soit le pays, les détenus y voient l’occasion de conserver un lien avec l’extérieur ».
Se pose ici la question du statut de ces objets, entre bibelot, art brut et document : Marianne Rigaud-Roy rappelle que les pièces exposées ont été choisies « selon leur pertinence avec la thématique, la diversité des supports et leur lien avec l’expérience de la détention ». Car les œuvres et documents de l’exposition ont été produits soit en prison, soit par des artistes intervenant en prison : les « Yoyos » par exemple, ou pelotes d’objets envoyées d’une cellule à l’autre par les détenus font prendre conscience aux visiteurs des mouvements à l’intérieur de la prison, et de la porosité avec l’extérieur (photographies de Bruno Paccard).
Au centre du parcours se trouve pourtant un espace ouvert où sont diffusés des témoignages de juges et de victimes, afin d’évoquer une autre forme de justice, sans prison. Justice restaurative au Canada ou justice restauratrice en Belgique, ces expérimentations font se rencontrer victimes et condamnés pour que « chacun retrouve son statut d’individu ». Cet espace permet une circulation fluide et invite les visiteurs à se faire leur propre opinion, sans contrainte.
La dernière cellule confronte soudain le visiteur avec ce que la prison a de plus violent, les mutilations volontaires et les mutineries. Sous un « chaos », selon le terme de Marianne Rigaud-Roy, fait de lattes de bois entremêlées, des documents rappellent que les détenus sont prêts à tout pour quitter la prison, même à avaler des lames de rasoir ou à cesser de s’alimenter. Des archives évoquent la révolte aux Baumettes (Marseille) en 1983, l’évasion de Michel Vaujour (1986), et des épisodes moins connus du public français. Ainsi la révolte des membres de l’IRA (Irish Republican Army, Armée républicaine irlandaise) entre 1978 et 1981 dans la prison de Belfast : les prisonniers avaient entamé la « Blanket and no-wash protest », refusant de s’habiller autrement qu’avec des couvertures, refusant de se laver, faisant la grève de la faim et tapissant les murs des cellules de leurs excréments. Le corps enfermé utilisait donc ses dernières ressources physiques pour résister au système.
Pour compléter l’expérience de la visite, des bornes multimédias diffusent des chansons sur le thème de la prison, tandis que deux salles ouvrent la voie à la fiction. L’une au travers d’extraits de films (interdits aux moins de 16 ans en raison de scènes violentes ou à caractère sexuel), l’autre par une expérience théâtrale où se mêlent projections et récits de détenus au parloir.
À part son prologue, historique, l’exposition se place donc clairement sur le plan symbolique, loin d’un discours surplombant. Les visiteurs éprouveront physiquement l’enfermement et sa brutalité, et repartiront avec quelques images fortes, à l’exemple du grand tableau de Didier Chamizo, ancien détenu devenu artiste, ou du témoignage passionnant du médecin pénitentiaire suisse Hans Wolff. Comme des notes d’espoir.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°533 du 15 novembre 2019, avec le titre suivant : Une plongée au cœur de l’univers carcéral