BILBAO / ESPAGNE
Le Guggenheim de Bilbao explore les relations que l’artiste établit entre art et nature, en excluant ses tableaux sur la figure humaine au risque de passer à côté de son travail.
BILBAO - Parfois, il faut se méfier des panneaux pédagogiques. Celui placé à l’entrée de l’exposition annonce qu’Alex Katz, peintre américain figuratif, a émergé dans les années 1950, moment où triomphe l’abstraction et, lit-on encore, qu’Alex Katz est héritier de l’expressionnisme abstrait, de son énergie et de sa logique formelle. On admet volontiers de trouver chez Alex Katz certains traits communs avec l’école de New York (le très grand format, le traitement all over où toute la surface est traitée sans aucune hiérarchie).
En revanche, face à la violence gestuelle de Pollock, les travaux qu’on peut voir à Bilbao dégagent une froideur presque glaçante. Ce sentiment est d’autant plus frappant que les organisateurs ont choisi de ne montrer que la partie atypique de l’œuvre d’Alex Katz, les paysages dénués d’émotion, comme filtrés par une vitre invisible. Proches et lointains à la fois, ce sont des pays inconnus et familiers, un monde arrêté où toute activité est suspendue. Une idée originale inspirée par le Musée d’Atlanta à qui l’on doit le catalogue proposé ici, celui d’une exposition beaucoup plus vaste qui fut organisée par ce musée ? Sans doute, mais Alex Katz reste peu exposé en Europe et cette présentation tronquée ne permet pas aux spectateurs de prendre connaissance de l’essentiel de la production picturale de cet artiste, centrée autour de la figure humaine.
Nouveau réalisme perceptif
Le peintre appartient avec Philip Pearlstein, Alfred Leslie ou Jack Beal à une tendance que l’historien d’art Irving Sandler nomme le Nouveau réalisme perceptif et qui privilégie l’apparence exacte de la réalité. Si on peut approcher leurs travaux de ceux du pop art, ils refusent d’emprunter leurs sujets à l’art commercial qui place l’objet sur un piédestal. Dans ce contexte, Katz se consacre exclusivement au portrait. Ses personnages participent à la sensibilité des années 1960 qui évacue toute trace de psychologie. Ressemblants, ces hommes et ces femmes, placés dans des cadres neutres, détachés les uns des autres, vidés de toute expressivité, sont dématérialisés sans être altérés. Impassibles, neutres, « gris », ils célèbrent l’anti-héroïsme de la vie moderne.
Ce n’est pas un hasard si la toile la plus forte, accrochée face à l’entrée de l’exposition, est un paysage d’hiver avec un visage féminin, lisse, comme irradiée, qui nous regarde sans nous voir (January 3, 1993). D’ailleurs, c’est dans cette salle que l’on trouve les œuvres les plus convaincantes. Les formes d’une précision géométriques sont teintes d’une couche de couleur mince, immaculée. Les volumes paraissent sans poids, tout détail est exclu, la matière et la texture sont absentes, le contraste chromatique entre les couleurs saturées est souligné par des contours précis. Condensés, simplifiés et stylisés au point de devenir des schémas ou des synthèses, ces paysages aplatis deviennent pratiquement bidimensionnels, une véritable transposition ou transplantation de la nature en un artefact. On songe à la phrase de Katz qui déclare : « Je pense que la nature n’est qu’un support pour l’art. »
La suite est décevante. Les toiles ne sont monumentales que par leur taille. Elles ont tout d’un exercice formel et décoratif, un peu gratuit. On conseille vivement à Alex Katz d’aller voir du côté de Gilles Aillaud, ce merveilleux peintre français, qui ne confond pas vide et vacuité, dont la puissance fascine.
Commissaire : Petra Joos et Michel Rooks
Œuvres : 85
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Un Alex Katz dénaturé
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Abonnez-vous dès 1 €Jusqu’au 7 février 2016, Guggenheim Bilbao, Avenida Abandoibarra, Bilbao (Espagne), tél : 34 944 35 90 08, www.guggenheim-bilbao.es, mardi-dimanche 10h-20h, entrée 10 €. Catalogue éditions Yale University Press, 176 p.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°446 du 27 novembre 2015, avec le titre suivant : Un Alex Katz dénaturé