États-Unis - Disparition

Décès du peintre américain Philip Pearlstein

Par Alexandre Clappe · lejournaldesarts.fr

Le 11 janvier 2023 - 828 mots

NEW YORK / ÉTATS-UNIS

Ses portraits crus ont longtemps détonné dans une production américaine oscillant entre expressionnisme et pop art.

Le peintre américain Philip Pearlstein est décédé mi-décembre dans un hôpital de Manhattan à l’âge de 98 ans. Au début des années 1960, Pearlstein s’était détourné des paysages exécutés dans un style expressionniste abstrait et avait commencé à peindre des modèles nus d'après nature. À cette époque dominée par l'abstraction, fortement influencée par l'extravagance picturale d'artistes tels que Jackson Pollock et Willem de Kooning, ses nus à l'éclairage glacial, présentés de manière triviale plutôt que comme des symboles ou les personnages d'un récit constituaient une rupture dans la peinture américaine.

Le critique d’art Robert Hughes, à propos d'une rétrospective de l'œuvre de l’artiste au Brooklyn Museum en 1983, a écrit dans le magazine Times qu'il « a probablement fait plus pour […] la peinture réaliste en Amérique que tout autre artiste de sa génération ». Pour de nombreux critiques, l'idée même de peindre la figure d'après nature représentait un saut dans le passé, une nostalgie réactionnaire de l'art académique du XIXe siècle, et donc une trahison des victoires durement acquises par l'avant-garde moderniste.

Philip Pearlstein a surmonté ces objections en adoptant une vision moderne de son sujet. Ses modèles, au mépris des poses traditionnelles, se prélassent et s'affalent, le visage relâché par l'ennui ou la fatigue. L'éclairage brutal fracture les corps de couleurs sourdes, les plans étant recadré par le bord de la toile. Un torse peut s'arrêter au cou, les bras sont coupés au poignet ou au coude.

Pearlstein est né le 24 mai 1924, à Pittsburgh (Pennsylvanie), tout comme son futur ami Andy Warhol. Son enfance est marquée par la Grande Dépression, durant laquelle son père vendait des œufs et des poulets pour joindre les deux bouts. Encouragé par ses parents dans ses tendances artistiques dès son plus jeune âge, il suit les cours du Carnegie Museum of Art. Lorsqu'il est lycéen, il remporte à deux reprises un concours national d'art et ses peintures gagnantes - l'une représentant un manège, l'autre un salon de coiffure dans un quartier afro-américain - sont publiées dans le célèbre magazine Life.

Ses études d'art sont interrompues lorsqu'il est mobilisé en 1943. Affecté en Italie dans une unité qui fabriquait des panneaux de signalisation, il passait son temps libre à Florence à admirer l'art de la Renaissance au palais Pitti et les fresques de Masaccio dans l'église Santa Maria del Carmine. Après son retour en 1946, il termine ses études à Carnegie et commence à travailler dans la conception de catalogues pour un cabinet d'architecte. Parmi ses camarades de classe figurent les artistes Andy Warhol et Dorothy Cantor, qu'il épouse en 1950. En 1949, après avoir obtenu son diplôme en beaux-arts, il s’installe à Manhattan avec Warhol. Les deux hommes ont partagé un appartement pendant plusieurs mois.

Pendant les huit années suivantes, Pearlstein conçoit des catalogues de plomberie, et étudie à l'Institute of Fine Arts de l'université de New York, où il obtient une maîtrise en 1955, avec une thèse consacrée à Francis Picabia et Marcel Duchamp. Il commence à exposer ses premières peintures de ce qu'il appela plus tard sa période symboliste, des abstractions aux couleurs vives qui incorporent certaines des formes de ses catalogues de plomberie. 

Il peint également, bien avant l'avènement du Pop Art, une série de tableaux basés sur des symboles de la culture américaine : par exemple, Superman (1952) montre un super-héros musclé volant à travers d'épais nuages orageux peints au-dessus de la ligne d'horizon de Manhattan, où deux missiles menacent d'entrer en collision. La pose imite la figure de Dieu dans le tableau de Michel-Ange La séparation de la lumière et des ténèbres du plafond de la chapelle Sixtine. Il se met également à peindre des paysages semi-abstraits pendant le reste de la décennie. Parallèlement, il enseigne au Pratt Institute de Brooklyn de 1959 à 1963.

À la fin des années 1950, il commence à s’intéresser à la figure. Philip Pearlstein combat alors ce qu'il appelle la « tyrannie » de l'art moderne, à savoir la démolition de la perspective, par des artistes comme Cézanne et Picasso qui ont éliminé le volume de la forme humaine et fracturé ses contours. « C'est une interdiction arbitraire. La platitude du plan de l'image n'est pas plus une vérité que ne l'était la platitude du monde avant Christophe Colomb » écrit-il dans Art News en 1962.  Avec des peintures fortes et sans concession, comme en 1965 Portrait of Allan Frumkin (son galeriste new-yorkais) et Portrait of Al Held and Sylvia Stone (1968), il ouvre la voie à une nouvelle génération d’artistes comme Jack Beal, Alex Katz et Alfred Leslie qui explorent également la figure humaine. 

Pearlstein a enseigné au Brooklyn College de 1963 en 1988. Il y était devenu professeur émérite. Une rétrospective de son œuvre lui a été consacrée en 1970 au Georgia Museum of Art d'Athens, et une autre en 1983 organisée par le Milwaukee Art Museum a voyagé dans plusieurs musées américains.
 

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