PARIS
Pour souffler ses 40 bougies d’existence, la Fondation Gianadda déploie une édifiante rétrospective de l’inaltérable peintre aveyronnais.
Martigny. Pour une surprise, c’est une surprise. Il est rare qu’un artiste vivant ait l’honneur des cimaises de la Fondation Gianadda, qui fête ses 40 ans. Les nombreux visiteurs de ce lieu ont plutôt l’habitude d’y voir des manifestations montrant des créateurs entrés depuis un certain temps dans le panthéon érigé par l’histoire de l’art. Quelques exceptions – Sam Szafran, par exemple – ne font que confirmer la règle. Mais Pierre Soulages est-il encore un artiste contemporain ? Oui, si l’on prend ce terme dans le sens le plus littéral. En effet, à 98 ans, encore récemment, l’homme continuait son activité, même si un peu ralentie. Comme preuve, on trouve ici une peinture de juin 2017, prêtée par Pierre et Colette Soulages. Cependant, l’œuvre de celui qui est considéré comme le doyen des peintres français, présenté dans le monde entier, « est désormais mythique », selon Bernard Blistène, l’un des commissaires de l’exposition avec Camille Morando. En d’autres termes, cette production picturale est déjà classique.
L’essentiel des travaux présentés à la Fondation vient du Centre Pompidou, y compris pratiquement l’ensemble du legs de Pierrette Bloch – décédée il y a deux ans –, une amie proche de Soulages, qui partageait sa passion pour le noir. Le parcours chronologique propose une rétrospective de 1948 à 2017, qui suit les différents médiums et techniques employés par l’artiste : brou de noix, goudron sur verre, huile ou acrylique. Certes, la manifestation n’a pas l’ampleur de celle qui a eu lieu à Paris en 2009, mais l’espace circulaire de la Fondation permet une vision simultanée de toute la production de l’artiste. Paradoxalement, là où on pourrait craindre un effet de répétition, dû à la tonalité noire qui domine partout, c’est la variété du traitement qui frappe le visiteur. Ainsi, le Goudron sur verre, 1948-1, est un signe calligraphique réalisé avec un geste dynamique parfaitement contrôlé. Ailleurs, ce sont de vastes champs colorés striés, où les contrastes n’apparaissent que par réfraction de la lumière sur la surface. La très spectaculaire Peinture, 29 juin, 1979, est le premier polyptique « outrenoir », ce néologisme inventé par l’artiste, un terme qui exprime parfaitement la profondeur de cette couleur. Ailleurs encore, avec un mélange de résines, majoritairement acryliques, Soulages obtient des toiles dont la matière plus épaisse s’approche du bas-relief. Et justement, l’une des originalités de l’exposition sont les bas-reliefs ou les objets-sculptures faits de bronze. Réalisées à partir des plaques de cuivre que l’artiste utilisa pour les eaux-fortes – (Bronze III, 1957) – ces œuvres sont une véritable découverte.
Si l’on peut regretter l’absence de quelques toiles de Franz Kline, pour mieux distinguer la singularité de Soulages face à l’expressionnisme abstrait américain, on est par contre impressionné par la qualité exceptionnelle du catalogue. Les commentaires détaillés des tableaux et les textes proposés complètent parfaitement le plaisir visuel.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°506 du 7 septembre 2018, avec le titre suivant : Soulages encore vert