Figure historique du bouillonnement artistique des années 1960, Jean-Michel Sanejouand continue de « chercher », retiré dans son atelier de Maine-et-Loire, pour éviter tout systémisme.
Au début des années 1960, tandis que triomphe l’abstraction picturale, Sanejouand empile des petits cailloux et bricole des assemblages d’objets quotidiens. En 1968, alors que dominent les procédures conceptuelles, il amorce les Calligraphies d’humeur, petits dessins figuratifs, libres et dissipés courant à l’encre de Chine bien à plat sur des toiles ou des papiers blancs.
Quelques dix ans après, il s’aventure en peinture, alors même qu’elle est officiellement proscrite. Même si chaque corpus conserve chez Sanejouand une dette envers le précédent, l’œuvre cultive volontiers les ruptures et les prises de positions radicales. À rebrousse-poil.
L’objet, la peinture et les cailloux
Sans doute cette obstination libertaire « à chercher plutôt qu’à produire » lui aura-t-elle valu une fortune critique capricieuse, en marge relative des quelques figures tutélaires françaises issues, comme lui, des années 1960-1970. Et si les institutions se chargent çà et là de quelques salutaires piqûres de rappel – Beaux-Arts de Lyon en 1986, Beaubourg en 1995, le Plateau en 2006 –, c’est encore aux radicalismes des premières heures qu’il revient le plus souvent de tenir la vedette.
Aux Charge-objets (1963-1967) en particulier. Simples gestes d’organisation, ces cousins par alliance du ready-made duchampien peuvent aussi bien associer une toile blanche et un miroir, qu’un fauteuil en Skaï et un monochrome rouge, des cailloux peints et un porte-boules ou une tronçonneuse et un coussin. Sanejouand, qui en écarte volontiers la lecture surréaliste, qualifie avec malice ces rencontres d’objets de « Marcel Duchamp réchauffé par Picasso ». Une manière d’expérimenter l’espace concret tout en provoquant ce même espace.
Comme les autres, les Charge-objets seront rapidement congédiés, juste avant que leur auteur ne les suspecte de style et bien avant qu’un Bertrand Lavier ou un John Armleder n’en prolongent le procédé. Suivront interventions planifiées dans l’espace, dessins vagabonds, peintures rattrapées par la couleur, le paysage et la figure, microsculptures de cailloux ou bronzes monumentaux, quitte à glisser vers une hétérogénéité de principe.
En témoigneraient les Espaces-critiques, récentes peintures citant la diversité des œuvres antérieures. On est pourtant loin d’une entreprise systémique quand on sait à quel point Sanejouand se méfie de toutes les orthodoxies, à commencer par les siennes. À lire bien plutôt comme le signe d’une œuvre conceptuelle « intranquille » cultivant l’inconfort et la recherche.
La Force de l'art
Catalogue d’exposition, RMN, 741 p., 2007, 45 €. Édité un an après la manifestation, le catalogue nous replonge dans la première édition de « La Force de l’art », triennale consacrée à la création contemporaine en France. Les trois œuvres de Sanejouand présentées à l’exposition, et représentatives de ses différentes pratiques (une Calligraphie d’humeur, un Charge-objets et une peinture des années 1990), y sont naturellement reproduites.
www.sanejouand.com
Le site donne, par une navigation aisée, un bon aperçu visuel de la diversité de la production de l’artiste, des années 1960 jusqu’à aujourd’hui. Les très nombreuses photographies d’œuvres peintes, sculptées ou calligraphiées sont accompagnées de commentaires succincts sur sa démarche et les concepts qu’il a au fil des ans développés (Charge-objets, Espaces-critiques, etc.). Quelques textes et entretiens publiés sont également accessibles en ligne. Pour les internautes qui désireraient approfondir leur réflexion sur la démarche artistique de Jean-Michel Sanejouand, le site dispense même une bibliographie complète et les met au fait de son actualité.
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°599 du 1 février 2008, avec le titre suivant : Sanejouand L’anti-système