Annoncée comme l’un des événements phares de Lille 2004, capitale européenne de la culture, l’exposition Rubens offre une vision éclatée de l’œuvre et de la carrière du maître flamand.
LILLE - Très attendue, la rétrospective Rubens (1577-1640) à Lille se présentait sous de bons auspices : vaste réunion d’œuvres du peintre, prêts prestigieux (Le Fils prodigue du Musée des beaux-arts d’Anvers, la Charrette embourbée de l’Ermitage à Saint-Pétersbourg, Guerre et Paix de la National Gallery de Londres, Romulus et Remus de la Pinacothèque Capitoline à Rome…) et ambition du propos de l’exposition. Celle-ci entend donner, selon les termes de son commissaire Arnauld Brejon de Lavergnée, « l’image la plus complète qui soit du maître ». Mais, en cherchant à embrasser la carrière éclatante, l’œuvre titanesque et la personnalité multiforme (Rubens fut à la fois peintre, décorateur, homme de cour, diplomate et collectionneur) de l’une des figures les plus riches et complexes de l’histoire de l’art, le parcours perd en cohérence et en clarté. Et en oublie d’évoquer l’un des aspects clés de la production de l’artiste, à savoir la question de l’atelier.
Le visiteur est ballotté entre diverses lectures de l’œuvre, l’accrochage louvoyant entre un découpage par périodes chronologiques (« L’œuvre de jeunesse et le séjour en Italie »), par catégories de commanditaires (« Les commandes de la bourgeoisie », « Le mécénat princier et aristocratique »), par thèmes (« Les sujets religieux ») ou encore par techniques (« Rubens et la tapisserie »). Par-delà leur éclectisme, ces sections ne sont en outre pas précisément définies, certaines compositions pouvant sans difficulté passer de l’une à l’autre. On retrouve par exemple des compositions religieuses non seulement – et c’est logique – dans la partie dévolue aux rapports entre Rubens et le clergé, mais aussi dans les salles consacrées à la formation en Italie (La Lamentation, vers 1602), au mécénat bourgeois (Le Martyre de saint André, 1638-1639) ou aristocratique (L’Annonciation, 1610-1628)… La rétrospective souffre enfin d’un grave problème d’éclairage, le visiteur devant constamment lutter contre les reflets pour contempler les œuvres – un défaut qui culmine avec les dessins et esquisses, présentés sous vitrines.
Grâce et difformité
Avec 160 tableaux, modelli et tapisseries, l’exposition n’en reste pas moins la plus vaste jamais consacrée au peintre en France, les précédentes manifestations (« Rubens et son temps » en 1936, et « Le siècle de Rubens dans les collections publiques françaises », en 1977-1979) n’ayant montré qu’une quarantaine de ses œuvres. Par ailleurs, à la différence de l’importante rétrospective organisée à Anvers en 1977, elle met en exergue la forte activité de Rubens pour les églises du nord de la France. Malgré l’absence de La Déposition d’Arras et du tableau sur le même thème de la cathédrale de Saint-Omer, elle permet la confrontation des Descente de croix des Musées de Lille et de Valenciennes, puissamment structurées et dramatiques. Et donne l’occasion d’en finir avec les clichés associés à l’artiste, trop souvent réduit à ses truculents nus féminins.
Rubens s’impose comme le digne héritier de Raphaël avec son Autoportrait en compagnie d’amis (vers 1602), réalisé durant son séjour mantouan à la cour des Gonzague, et comme l’égal du Titien et de Véronèse dans ses grands portraits de dames patriciennes, dont le caractère cérémonial n’interdit pas une certaine liberté. Ainsi dans la saisissante représentation d’une aristocrate génoise (vers 1606), qui oppose, dans une mise en scène fastueuse, le visage gracieux et délicat de la jeune femme à la physionomie difforme d’un nain. Ou encore dans Vénus, Cupidon, Bacchus et Cérès (1612-1613), dont les chairs sculpturales et glacées offrent un contrepoint classique aux célèbres envolées baroques du peintre.
Jusqu’au 14 juin, Palais des beaux-arts, 59000 Lille, tél. 03 20 06 78 00 ou 0800 805 355 (n° vert), tlj sauf mardi 11h-19h, vendredi 11h-21h, fermé le 1er mai, www.exporubens.com. Catalogue, éditions RMN, 320 p., 39 euros.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Rubens, un artiste européen
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €- Rubens collectionneur Palais italo-flamand érigé par Rubens à son retour d’Italie, modifié au XVIIIe siècle puis reconstitué dans les années 1940, la Rubenshuis (maison de Rubens) évoque le fastueux cadre de vie du maître. À l’occasion de l’Année Rubens à Anvers, elle s’enrichit d’une centaine des quelque 300 œuvres collectionnées par le peintre prolifique et amateur d’art insatiable. Dispersées à sa mort en 1640 mais retrouvés grâce à un inventaire de ses biens, ces tableaux, dessins, sculptures, objets d’art, monnaies et médailles illuminent les collections permanentes comme les espaces d’expositions temporaires du musée, et illustrent la prédilection de Rubens pour le Cinquecento vénitien (Titien, Tintoret, Véronèse), la peinture nordique des XVIe et XVIIe siècles (Holbein, Dürer, Jordaens, Adriaen Brouwer, Van Dyck) ou encore les intailles et camées. « Une maison d’art. Rubens collectionneur », Rubenshuis, Wapper 9-11, Anvers, tél. 32 3 201 15 55. Jusqu’au 13 juin. - Rubens bibliophile Les livres faisaient partie intégrante de la vie de Rubens, comme en témoigne l’exposition proposée par le Museum Plantin-Moretus à Anvers. Pour évoquer sa riche bibliothèque, l’institution a réuni une sélection d’ouvrages anciens lui ayant appartenu : atlas, livres de linguistique mais aussi biographies d’artistes célèbres telles celles rédigées par Vasari ou Karel van Mander, traités d’iconographie, manuels de peinture et recueils de littérature politique et historique. « Une passion pour les livres, Rubens et sa bibliothèque » au Museum Plantin-Moretus, Vrijdagmarkt 22, Anvers. tél. 32 3 221 14 50. Jusqu’au 13 juin. - Rubens et la peinture française du XIXe En échange des œuvres prêtées pour la rétrospective lilloise, le Musée royal des beaux-arts d’Anvers a reçu une série d’œuvres du Palais des beaux-arts de Lille (Delacroix, Ingres, Courbet…) censées évoquer l’influence du maître baroque sur le courant romantique ou réaliste français au XIXe siècle. En réalité, ces tableaux et dessins peinent à nourrir le propos de l’exposition, dont la présentation se révèle en outre indigente. « De Delacroix à Courbet. Rubens en discussion », Koninklijk Museum voor Schone Kunsten, L. De Waelplaats, Anvers, tél. 32 3 238 78 09. Jusqu’au 13 juin. - Rubens contre Poussin En association avec le musée d’art ancien et contemporain d’Épinal, le Musée des beaux-arts d’Arras met pour sa part en lumière la « querelle du coloris », qui divise à partir des années 1670 les peintres de l’Académie royale entre partisans de Rubens et de Poussin. Autour de compositions de ces deux artistes, des tableaux de Charles Le Brun, Antoine Coypel, Jean Jouvenet, Charles de La Fosse ou Nicolas de Largillierre tentent d’illustrer la complexité de cette controverse entre tenants du coloris et défenseurs de la suprématie du dessin et de la ligne. « Rubens contre Poussin. La querelle du coloris dans la peinture française à la fin du XVIIe siècle », Musée des beaux-arts d’Arras, tél. 03 21 71 26 43. Jusqu’au 14 juin. L’exposition sera ensuite présentée au Musée départemental d’Épinal, du 27 juillet au 3 septembre. - Les expositions à venir Au Koninklijk Museum voor Schone Kunsten, à Anvers : « L’invention du paysage », du 8 mai au 1er août 2004 ; « Copyright Rubens. Rubens et l’art graphique », du 12 juin au 12 septembre. « Rubens en noir et blanc, 1650-1800 », à la Rockoxhuis, à Anvers, du 12 juin au 12 septembre. « Rubens et l’illustration des livres » au Museum Plantin-Moretus, à Anvers, à partir du 12 juin. « Rubens. Baroque Passions », au Herzog Anton Ulrich Museum de Braunschweig (Allemagne), du 8 août au 31 octobre. « Rubens Drawings », à la Pierpont Morgan Library de New York, du 1er novembre 2004 au 9 janvier 2005, puis à l’Albertina de Vienne courant 2005. « L’âge de Rubens : demeures, commanditaires et collectionneurs génois », au Palazzo Ducale, à Gênes, jusqu’au 21 octobre.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°190 du 2 avril 2004, avec le titre suivant : Rubens, un artiste européen