Au Multimedia Art Museum, Moscow, les rétrospectives « Rodtchenko » et « Eisenstein » forment une caisse de résonance de l’avant-garde russe en prise avec le pouvoir.
MOSCOU - Ce n’est pas la première exposition d’Alexandre Rodtchenko (1891-1956) que propose Olga Sviblova (lire l’entretien ci-dessous), fondatrice et directrice de la Biennale de la photographie de Moscou et de la Maison de la photographie devenue le Multimedia Art Museum, Moscow (MAMM). Mais c’est la première rétrospective d’ampleur qui traite à égalité, le peintre, le dessinateur, le photographe, le sculpteur, le graphiste, l’architecte, le designer, le chef opérateur et le créateur de décors et costumes pour le théâtre et le cinéma. La rétrospective organisée par le MoMA de New York en 1998, la première du genre, était en effet plus réduite. Car outre qu’il détient la plus importante collection photo de Rodtchenko et bénéficie de prêts importants d’institutions russes, le MAMM a tissé depuis plus de trente ans des liens privilégiés avec la famille, en particulier Alexandre Lavrentiev, le petit-fils de l’artiste. Ce rassemblement de pièces subtilement orchestré pointe les choix esthétiques de cet artiste protéiforme de génie, incarnation de l’avant-garde russe des années 1918-1930 portée par la révolution bolchevique et la Nouvelle Politique économique (NEP). « Rodtchenko, ce n’est pas qu’un grand artiste, c’est une vision, des projections, des rêves sur un futur dans une période pas du tout gaie. En 1918, la Première Guerre mondiale se termine, la guerre civile commence. Il y a la famine, le chômage, rappelle Olga Sviblova. Cette année-là, Rodtchenko a changé cinq fois de chambre. » Mais la révolution d’Octobre le porte comme elle porte Sergueï Eisenstein (1898-1948) et exalte leurs images, collages ou montages ou encore leurs décors et costumes de théâtre. Certes la frontière est ténue entre la propagande, l’enthousiasme fervent et la recherche par la forme de l’impact de l’image. Mais le visage de l’homme nouveau et la puissance de la foule incarnent alors l’espoir de temps meilleurs.
Face au totalitarisme
La programmation simultanée de ces deux grandes figures de l’avant-garde russe de la même génération, toutes deux victimes du totalitarisme stalinien, forme une caisse de résonance percutante. Comparer leur positionnement esthétique et leur évolution au fur et à mesure que la terreur s’intensifie à partir des années 1930 permet de voir Rodtchenko se concentrer sur le paysage et le cirque (autre théâtre de métaphores) et Eisenstein travailler les métamorphoses du visage du libérateur devenu tyran. Implacable. Particulièrement puissante est à ce titre la juxtaposition des images de soulèvements de foule dans la Grève (1924), le Cuirassé Potemkine (1925), Octobre (1927) ou Qué Viva México (1932), de même qu’est saisissant le passage de cette salle à celle des visages d’Ivan le terrible (1943-1947) confrontés à ceux de la Walkyrie de Richard Wagner, opéra dont Eisenstein conçut les décors et la mise en scène en 1940.
Au-delà de leur passion commune pour les techniques et les sciences, au-delà également des analyses esthétiques, des théories du spectateur d’Eisenstein ou des constructions spatiales en bois dans les projets architecturaux, de décor intérieur et de design, de Rodtchenko, le sujet en filigrane est toujours celui des relations de l’art au pouvoir.
Par bribes éparses (affiches de films d’Eisenstein conçues par Rodtchenko, photographies de tournage du film La Ligne générale (1929) montrant Rodtchenko et son épouse Varvara Stepanova dans le rôle de passagers d’un avion), l’exposition permet de suivre leur trajectoire commune comme celle de leur famille intellectuelle ou artistique. Leur proximité en particulier avec le cinéaste Dziga Vertov, auprès duquel Eisenstein s’est formé au cinéma, et son frère le talentueux chef opérateur Mikhaïl Kaufman qui enseignera le maniement de la caméra à Rodtchenko. Avant que le vent ne tourne et que le groupe ne s’éparpille.
Commissaire : Olga Sviblova Nombre d’œuvres et documents : 296 pour Rodtchenko/351 pour Eisenstein
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Rodtchenko et Eisenstein, l’image incarnée
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Respectivement jusqu’au 12 février et jusqu’au 10 mars, Multimedia Art Museum, Moscow, 16 rue Ostozhenka, Moscou, tél. 7 495 637 11 00, www.mamm-mdf.ru/en/, tlj sauf lundi 12h-21h ; tarif 500 roubles (env. 8 €).
Légende Photo :
Salle du Multimedia Art Museum lors de la biennale de 2012, Moscow © Photo Nickolai Kashirin - 2012 - Licence CC BY-SA 2.0
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°473 du 17 février 2017, avec le titre suivant : Rodtchenko et Eisenstein, l’image incarnée