À travers la première rétrospective consacrée à Jean Dubuisson, né à Lille en 1908 et Grand Prix de Rome en 1945, l’Institut français d’architecture (IFA) entend réhabiliter le meilleur de l’architecture moderne française de l’après-guerre, particulièrement florissante dans la construction des « grands ensembles ». L’impasse totale faite sur les aspects négatifs de ce type d’urbanisme affaiblit cependant la démonstration.
PARIS - Peut-être est-ce en scrutant “l’inconscient” du milieu de l’architecture que l’on trouverait l’explication à une présentation de l’histoire si orientée. L’œuvre de Jean Dubuisson, principalement nourrie par la réalisation des “grands ensembles” des années cinquante à soixante-dix, fait partie de celles qui sont à l’origine du manque de considération encore vivace de la profession d’architecte dans le grand public et contre lesquelles s’est édifié l’essentiel du meilleur de l’architecture française de ces dernières années (Portzamparc, Nouvel, Gaudin, Castro, Ciriani, Devillers, etc). Cependant, l’Institut français d’architecture fait valoir ses seuls aspects positifs, excluant toute distance critique. Sans recul, l’exposition renoue maladroitement avec le caractère édifiant des visions d’une modernité conquérante qui ont agité, entre “spoutniks” et “frigidaires”, l’imaginaire des “Trente Glorieuses”. Maquettes et dessins d’un type de projets dont la critique a été formulée depuis longtemps sont présentés avec l’”évidence” qui avait alors permis de les édifier, “au nom de l’urgence” à loger “le plus grand nombre”.
Une “barre” de trente mètres de haut
Certes, Jean Dubuisson avait un incontestable talent pour donner d’élégantes proportions ou un beau dessin de façade à une “barre” de trente mètres de haut par trois cents de long, telle l’une de celles qu’il a conçues pour la cité de la Caravelle, à Villeneuve-la-Garenne, entre 1959 et 1967. Mais à propos de ce projet, il eût été intéressant, sinon de montrer, au moins d’évoquer en parallèle les difficultés dans lesquelles l’architecte Roland Castro se débat aujourd’hui pour redonner, à force de “remodelage”, un visage plus humain à cette même cité. Autre réalisation caractéristique de Dubuisson, l’immeuble “Mouchotte”, conçu et réalisé entre 1959 et 1968 – dont les Parisiens et autres usagers de la gare Montparnasse connaissent l’immense façade bordant le côté sud des voies –, résume à lui seul la réduction du discours architectural de cette époque. La façade de verre et d’acier, aussi monotone qu’un papier millimétré, masque mal un unique dessein : construire le plus simplement et le plus possible afin d’optimaliser l’investissement initial. L’amateur éclairé pourra effectivement y apprécier des nuances architecturales dont ne bénéficiait pas une “barre” édifiée en banlieue populaire dans ces années-là. Mais la nécessité de rendre justice à une architecture dont les qualités sont occultées par les travers de l’époque auxquels elle s’est adonnée ne justifiait pas en effet à elle seule une présentation si positive. Au-delà du légitime projet d’une réappréciation plus juste de la production de cette époque, ce parti pris dénote plus vraisemblablement la mode actuelle du “revival”, dont l’utilité est moins de nous instruire contradictoirement sur la complexité d’une œuvre que d’alimenter l’actualité culturelle.
RÉTROSPECTIVE JEAN DUBUISSON jusqu’au 11 avril, Institut français d’architecture, galerie d’exposition, 6 rue de Tournon, 75006 Paris, tél. 01 43 26 37 11, du mardi au samedi 12h30-19h. Entrée gratuite.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
« Revival » Jean Dubuisson
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°55 du 27 février 1998, avec le titre suivant : « Revival » Jean Dubuisson