Le Musée d’art moderne de Céret revient
sur la riche production d’objets du maître espagnol.
CÉRET - « A noir, E blanc, I rouge, O bleu, U vert… » Dans son poème « Voyelles », Arthur Rimbaud associe à chacune des lettres de l’alphabet une couleur évoquée par autant d’images marquantes. Sans doute aurait-il accueilli les correspondances artistiques de Pablo Picasso avec reconnaissance. Le Musée d’art moderne de Céret consacre à sa créativité protéiforme une exposition justement intitulée « Peintre d’objets. Objets de peintre ». Le génie espagnol y apparaît particulièrement insatiable. Ou quand, d’une plaque d’argile savamment pliée naît un pigeon. Oiseau, compotier ou tête de faune, ces motifs traversent tous les médiums. Après le succès de « Raoul Dufy. Du motif à la couleur », en 2003, Joséphine Matamoros, conservateur en chef du musée, et Bruno Gaudichon, conservateur en chef de La Piscine, Musée d’art et d’industrie André-Diligent à Roubaix, se sont retrouvés pour une nouvelle collaboration autour de « cette attitude iconoclaste, qui se joue des conventions de la hiérarchie des genres ».
Costumes en carton
L’exposition occupant les 9/10e de l’espace du musée, la scénographie a dû s’adapter à l’architecture d’un lieu conçu pour une collection permanente et pourra sembler manquer de fluidité. Mais l’édifice est agréablement ponctué de vues sur les cours intérieures qui, par la même occasion, apportent une belle lumière naturelle. Les enfants n’ont pas été oubliés, comme en témoignent certaines vitrines de céramiques placées au ras du sol, mais aussi les petites lucarnes creusées à 1 mètre de hauteur le long des étals renfermant les bijoux et autres ronds de serviettes en céramique.
Le parcours de l’exposition prend pour point de départ la peinture, épicentre de la créativité de Pablo Picasso, avec une série de compotiers où l’on retrouve la Nature morte à la tête antique (1925) du Centre Pompidou. La toile fait très vite place à la céramique, à la joaillerie, à l’argenterie, à la tapisserie et au dessin en passant par le costume de ballet, autant de techniques qui incarnent les nombreuses collaborations de l’artiste. Qu’il s’adonne à la céramique dans l’atelier Madoura de Suzanne et Georges Ramié à Vallauris, à la bétogravure avec Carl Nesjar à Stockholm ou à la joaillerie avec l’orfèvre François Hugo, Pablo Picasso conserve la même verve et la même aisance.
Une salle entière est consacrée aux étonnants costumes en carton de Parade, création pour les Ballets russes de Serge Diaghilev en 1917 au Théâtre du Châtelet. C’est d’ailleurs dans ce même théâtre qu’une poignée de Parisiens chanceux avait pu assister l’été dernier à un programme exceptionnel proposé par le Ballet de l’Opéra national de Bordeaux. Parade, Icare et Le Tricorne s’y enchaînaient derrière le somptueux rideau de scène réalisé par Picasso, tenture dont l’esquisse préparatoire est visible à Céret. Le parcours s’achève sur les multiples contributions de Picasso à la danse (Le Tricorne (1919), Pulcinella (1920), Mercure (1924)…) avec une série de gouaches pour les costumes et décors de différents ballets. Mais la vraie réussite de l’exposition, tant sur le plan scénographique qu’esthétique, est l’ensemble de plats et compotiers en argent exposés aux côtés de leurs modèles en céramique blanche. Pour la première fois réunies et présentées au public, les pièces nimbées de lumière sont révélées, étincelantes, dans un décor rouge sang.
L’exposition constitue un nouveau retour aux sources pour Pablo Picasso qui connaissait bien Céret pour l’avoir fréquenté de 1911 à 1913 puis en 1953 et 1956, entouré de plusieurs compagnons de route parmi lesquels Georges Braque et Juan Gris. L’artiste fit d’ailleurs don au musée en 1953 d’une collection de céramiques. Il est vrai que Joséphine Matamoros œuvre depuis longtemps pour le développement du triangle des « Trois C » (Collioure, Céret, Cadaquès), trois pôles importants de la peinture moderne.
Jusqu’au 19 septembre, Musée d’art moderne de Céret, 8, boulevard Maréchal-Joffre, 66400 Céret, tél. 04 68 87 27 76, tlj 10h-19h, et 10h-18h à partir du 16 septembre, www.musee-ceret.com. Et du 9 octobre 2004 au 9 janvier 2005, à La Piscine/Musée d’art et d’industrie André-Diligent, à Roubaix. Catalogue édité par Gallimard, 270 ill. dont 250 ill. couleur, 45 euros, ISBN 2-07-011794-4
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Picasso polymorphe
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°196 du 25 juin 2004, avec le titre suivant : Picasso polymorphe