PERPIGNAN
Le Musée d’art de Perpignan retrace le parcours d’un enfant du pays, absorbé par son soutien à Gauguin et auteur d’une œuvre digne d’intérêt.
Perpignan. Bien moins connu que son fils Henry (l’aventurier auteur des Secrets de la mer rouge), George Daniel de Monfreid (1856-1929) mérite pourtant de l’être car c’est un honnête peintre doublé d’un homme attachant. Il fait partie de cette génération qui a 20 ans au moment où l’impressionnisme fait irruption et qui est passé directement au postimpressionnisme. Monfreid a toujours revendiqué être un naturaliste au sens où on l’entendait à l’époque, c’est-à-dire un anti- académique, mais il n’a pas pour autant épousé plus tard la modernité des fauves ou des cubistes.
Une raison qui explique son manque de notoriété, hier comme aujourd’hui, est le fait qu’il a vécu une grande partie de sa vie dans le Roussillon, très loin de la capitale. Même s’il a fréquenté l’Académie Julian à Paris et y a eu son atelier, ses séjours de plus en plus fréquents dans les Pyrénées – non loin de Prades, la ville de Jean Castex – l’ont progressivement éloigné de la scène parisienne. C’est d’abord un peintre de paysages, ceux du Roussillon, qu’il représente dans une veine divisionniste à la manière d’un Henri-Edmond Cross. Monfreid a du métier, ses compositions sont solides et il a un regard moderne comme en témoignent ses cadrages originaux. On peut cependant lui faire le reproche de parfois trop « pousser » ses couleurs ou de rechercher une précision photographique au détriment d’un effet de réel. C’est aussi un bon portraitiste, de sa famille, de ses amis et de lui-même.
Déterminante dans sa vie [voir encadré ci-dessous], sa rencontre avec Paul Gauguin en 1888 l’amène à expérimenter d’autres voies, mais sans vraiment insister. Il s’éloigne ainsi de la touche divisionniste pour des aplats et des formes simplifiées, à l’instar d’un paysage de Lozère accroché, dans l’exposition, non loin des Meules jaunes de Gauguin. Le primitivisme du peintre de Pont Aven rencontre cependant plus d’échos en lui. Il se lance à partir de 1897 dans le modelage d’un calvaire monumental dont le musée expose un tirage posthume. Le Christ en croix, flanqué de Marie et de Marie Madeleine, très marqué par la statuaire médiévale est empreint d’un mysticisme que l’on ressentait déjà dans ses rudes paysages bien loin de la Normandie des impressionnistes.
Bien qu’il ait longtemps exposé au Salon des artistes français, puis des Indépendants, une seule de ses toiles a été acquise par l’État de son vivant (quelques mois avant sa disparition), un nu de 1889 qui n’est pas le meilleur de sa production. Il faut saluer le musée de Perpignan qui, à la suite de Narbonne en 2003, permet de mieux faire connaître un peintre estimable. Le musée a d’ailleurs mis en ligne les carnets journaliers que Monfreid a tenu une grande partie de sa vie. Des carnets fort utiles pour de futures recherches sur un peintre à la bibliographie encore trop mince.
Monfreid dans l’ombre de Gauguin
Amitié de peintres. L’exposition est intitulée « Monfreid sous le soleil de Gauguin », mais l’on peut se demander si Monfreid n’a pas plutôt été éclipsé par son ombre tant il s’est investi dans la défense de l’œuvre de son ami. Il l’a accueilli dans son atelier parisien, acheté plusieurs de ses œuvres (certaines données de son vivant et plus tard à l’État), fait l’intermédiaire avec ses marchands et soutenu moralement à travers une longue correspondance lorsque Gauguin était en Polynésie. Devenu en quelque sorte son homme de confiance, il est désigné pour être son exécuteur testamentaire par Mette Gauguin. Il a alors à cœur d’éditer le manuscrit de Noa Noa rédigé par Gauguin, concurremment avec l’édition de Charles Morice. Il se lance dans la production de gravures sur bois librement inspirées des illustrations du carnet [voir ill.]. D’une certaine façon, Monfreid s’est davantage consacré à la promotion de l’œuvre de son ami qu’à la sienne, aidé par une sécurité économique sur laquelle sa biographie est peu diserte, et plus encore par générosité.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°596 du 7 octobre 2022, avec le titre suivant : Monfreid, une belle redécouverte