Film - À l’étage du Musée de Montmartre, au bout de l’exposition « Surréalisme au féminin ? », une petite salle diffuse en boucle cinq minutes de l’un des classiques de Maya Deren : At Land (1944).
Ce puzzle d’images obsédant ne semble pas dépareiller du parcours. Il y a néanmoins quelque paradoxe à retrouver ici, aux côtés de Toyen ou de Dora Maar, une cinéaste qui a toujours entretenu ses distances avec le surréalisme. Maya Deren est née à Kiev en 1917 ou en 1919, selon les sources. Dès 1922, sa famille s’installe aux États-Unis et, à 26 ans, elle tourne son premier film, peut-être le plus célèbre, Meshes of the Afternoon. Suit une série de projets expérimentaux où son art du montage mêle des éclats fantastiques à de la danse ou des séquences documentaires. Le surréalisme ne lui est pas étranger : Deren connaît André Breton ; Marcel Duchamp apparaît dans The Witch’s Cradle (1943). Néanmoins, à revoir At Land, on comprend ce qui pouvait la déranger lorsque l’on apparentait son art à celui de ses amis. Bien sûr, At Land procède, comme Un chien andalou quinze ans avant lui, d’un collage qui échappe au rationnel. Une jeune femme marche sur une plage étrange où les vagues roulent vers le large. Puis elle traverse une forêt vierge et rampe vers un joueur d’échecs sur la table d’un dîner chic, où personne ne fait attention à elle… Ces plans ne s’entrechoquent pas. Au contraire, extrêmement construits, ils s’assemblent avec fluidité. À l’écran, Maya Deren joue de ses grands yeux curieux pour transformer son film en une expérience vécue à la première personne. À partir de 1947, elle se rend à Haïti filmer des rituels vaudous et s’initier elle-même à la magie noire. Ainsi poursuit-elle sa démarche dans une géographie très concrète, loin de l’entrelacs mental surréaliste. Plus étrange encore, si Maya Deren est considérée comme une figure du cinéma expérimental indépendant new-yorkais, son héritage est aussi à chercher du côté de… Hollywood, qu’elle détestait. Face à ces vagues qui refluent vers l’horizon, on songe à Tenet de Christopher Nolan. Promenade envoûtante à travers divers mondes, At Land précède l’invention du mot « multiverse » qui fédère une bonne part des blockbusters contemporains. Ainsi, peut-être Maya Deren savait-elle que son travail avait vocation à voyager, à effacer toutes les frontières artistiques, temporelles ou commerciales. Y compris celles du surréalisme.
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Maya Deren surréaliste ?
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°765 du 1 juin 2023, avec le titre suivant : Maya Deren surréaliste ?