PARIS
Du fructueux partenariat entre le Musée du quai Branly et les institutions mexicaines résulte une exposition valorisant la recherche archéologique sur le Templo Mayor de Mexico.
Paris. Pour les conservateurs du Musée du quai Branly, une vieille habitude a été remise en cause lors de la préparation de l’exposition « Mexica » : pour nommer le peuple qui a construit son empire (1325-1521) autour du lac Texcoco et a périclité avec l’arrivée des conquistadors au XVIe siècle, il ne faut plus parler d’Aztèques mais de « Mexicas ». C’est une exigence des prêteurs mexicains que de remplacer le nom donné au XIXe siècle par l’explorateur allemand Alexander von Humboldt et fondé sur les récits mythologiques par le gentilé qu’utilisait ce peuple pré-hispanique pour se désigner. Une habitude qui a la vie dure, puisque le vocable d’« aztèque » peut encore se glisser malencontreusement sous la langue des conservateurs, bien que ces derniers accèdent à ce désir de réappropriation sémantique.
Cette petite révolution est significative de la volonté des institutions mexicaines comme de la société civile de reprendre le contrôle d’un récit historique jusque-là largement préempté par l’archéologie européenne. Un chantier de fouille mené depuis la fin des années 1970 symbolise le volontarisme de la recherche au Mexique : celui consacré au Templo Mayor, le cœur de l’ancienne Tenochtitlan et aujourd’hui de la capitale Mexico. Cette dernière est en effet construite sur les ruines de la fascinante cité Mexica rasée par le conquistador Hernán Cortés en 1521. C’est précisément ce chantier exceptionnel, et complexe de par son emplacement en plein centre-ville, qui est présenté au Quai Branly, et pour la première fois en Europe. Le musée parisien bénéficie d’ailleurs de l’expertise du directeur du site, Leonardo López Luján, pour le commissariat de « Mexica ».
Loin des tournées mondiales de trésors archéologiques organisées par certains pays pour doper leur tourisme, l’exposition, fruit d’une collaboration entre les institutions mexicaines et le Quai Branly, est avant tout un moment de divulgation scientifique, alors qu’au pied de la cathédrale de Mexico les fouilles du temple pré-hispanique battent leur plein. « Sur les cartels, nous indiquons qu’il y a 209 offrandes découvertes sur le site, mais l’information est déjà obsolète puisque quatre offrandes supplémentaires l’ont été depuis l’ouverture de l’exposition », indique ainsi Fabienne de Pierrebourg, conservatrice des collections Amériques et co-commissaire.
Ces offrandes constituent le cœur des recherches archéologiques actuelles, comme de l’exposition présentée à Paris. Le parcours est construit tel un cheminement vers une vaste salle où sont présentés les dons des Mexicas destinés à leurs dieux, dons qu’ils enterraient sur les remblais de la pyramide du Templo Mayor. Dominé par une évocation de la silhouette du temple principal de Tenochtitlan, cet espace est divisé en deux séquences : à droite, une recension des objets, matériaux, animaux, et même restes humains qui constituent ces offrandes ; à gauche, la reconstitution d’offrandes complètes dans leur contenant. Ce propos en deux temps permet de comprendre que les offrandes étaient constituées de produits d’importation luxueux, d’animaux étrangers aux rives de lac Texcoco et gardés dans le vivarium impérial avant leur sacrifice, et aussi d’humains dont des enfants, dans des proportions toutefois bien moindres que celles des massacres présentés par les sources coloniales (seules 1 500 victimes sacrificielles ont été découvertes, loin des 80 000 victimes en une seule cérémonie évoquée par des documents espagnols).
Ces offrandes, contenues dans des jarres ou des coffres en pierre présentant souvent des dépouilles d’animaux parés d’or, renvoient à des rituels exceptionnels dans la vie des Mexicas : la plupart des offrandes faites de produits périssables n’ont laissé aucune trace archéologique. Pour comprendre la pratique sophistiquée de ces dons faits aux dieux, une bonne connaissance de la religion des Mexicas est nécessaire. C’est tout le défi de la première partie de l’exposition, qui doit permettre aux visiteurs de se familiariser en quelques salles avec les concepts principaux des croyances méso-américaines : le dualisme, qui organise le monde par opposition (sec/humide, lumière/ténèbres, etc.), et surtout la structure du monde en trois couches (inframonde, monde terrestre, monde céleste) soutenues par quatre piliers et un axis mundi central. Il faut souligner ici la clarté du travail graphique qui parvient à rendre intelligible, à l’aide de schémas, cette cosmogonie complexe, et les solutions scénographiques trouvées pour l’incarner de manière tangible. La qualité des prêts mexicains (du monumental aigle ouvrant le parcours à l’effrayante statue du dieu de la Mort, Mictlantecuhtli) illustrant ce petit catéchisme Mexica permet de se familiariser avec un panthéon prolifique : si les noms de Quetzalcoatl ou Huitzilopochtli restent difficiles à mémoriser, le parcours permet d’identifier rapidement leurs représentations grâce à leurs attributs.
Ménageant la pédagogie et le spectaculaire, le parcours s’achève sur les survivances du rite des offrandes dans le Mexique actuel, avec une grande reconstitution d’un autel qui mêle croyances pré-hispaniques et religion catholique. En collant toujours à son sujet, les offrandes, le propos se révèle bien plus construit et enrichissant que les expositions « civilisationnelles » auxquelles est souvent cantonnée l’histoire extra-européenne.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°633 du 10 mai 2024, avec le titre suivant : L’offrande du Mexique au Quai Branly