Art non occidental

Steve Bourget et Fabienne de Pierrebourg

C’est au sommet du Templo Mayor que les Mexica honorent leurs dieux

Par Marie Zawisza · L'ŒIL

Le 26 mars 2024 - 1384 mots

Au XVIe siècle, les Espagnols découvrent Tenochtitlan, ville immense au milieu d’un lac. Ils rasent la cité pour édifier leur capitale, Mexico.Une exposition présente les trésors de cet empire disparu.

Qui sont les Mexica, qu’on a coutume d’appeller les « Aztèques » ?

Fabienne de pierrebourg  - Au XIXe siècle, l’explorateur allemand Alexander von Humboldt (1769-1859) commence à désigner les habitants préhispaniques de Tenochtitlan comme les « Aztèques », par référence au mot « Aztlan ». Ce nom, que l’on trouve dans les textes des Mexica, désigne leurs terres ancestrales, dont on ne connaît pas la localisation exacte. On les appelait jusqu’alors les « Mexica », un nom qui leur avait été donné, selon leur mythologie, par Huitzilopochtli, dieu de la guerre et du soleil. C’est aussi l’origine du nom de l’actuelle capitale édifiée par les Conquistadors espagnols !
steve bourget  - Les Mexica sont des groupes venus du nord de la Mésoamérique (ou Amérique centrale), qui s’établissent dans la vallée de Mexico et les hauts plateaux autour du XIIIe siècle. Ils s’installent dans une zone marécageuse, et bâtissent ce qui va devenir Tenochtitlan sur une île du lac Texcoco, en extrayant de l’argile du fond, et en créant des petites zones agricoles, qu’ils stabilisent. Ainsi, une société prend forme. Les Mexicas élaborent une mythologie, dans laquelle ils se dotent d’origines glorieuses et racontent leur migration, guidée par leur héros ancestral jusqu’à la terre sacrée où ils fondent Tenochtitlan. Au cœur de la cité, ils créent l’enceinte cérémonielle au sein de laquelle ils érigent le Templo Mayor.

À quoi ressemblait L’ancienne Cité de Tenochtitlan ?

S.B. -  Au moment de la conquête, Tenochtitlan, ordonnée selon la cosmologie aztèque, avec quatre directions principales, compte autour de 200 000 habitants – c’est alors l’une des Plus Grandes villes au monde !
F.P.  - Cette ville, entourée de volcans enneigés, a émerveillé les Espagnols, qui ont aussi découvert sa vie, ses marchés, avec une multitude d’oiseaux, de fruits, de légumes… Elle était Vibrante, foisonnante et gaie.
S.B.  - On y parlait plusieurs langues, les artisans étaient regroupés par quartiers. Au fil des conquêtes militaires, les empereurs successifs agrandissent la ville et l’enceinte cérémonielle, qui compte de nombreux édifices dont le Templo Mayor. Comme un emboîtement de poupées russes, ce temple double dédié au dieu de la pluie Tlaloc et au dieu solaire et guerrier Huitzilopochtli est maintes fois élargi jusqu’à la conquête espagnole.

Que représente le Templo Mayor pour les Mexica ?

S.B.  - C’est au sommet de sa pyramide que les Mexica honorent leurs dieux et font des sacrifices pour la pluie, le soleil, la fertilité agricole ou la victoire. Le Templo Mayor constitue le nombril de l’Empire mexica, son centre géographique, mais aussi cosmologique, politique, économique, symbolique. Cet empire se bâtit au travers d’activités guerrières, nécessaires à cause d’une importante pression sur les ressources, et d’une religion très puissante. Les Mexica apportent au Templo Mayor les effigies des dieux des peuples vaincus. Une façon, pour eux, de signifier aux populations soumises qu’elles sont désormais partie de l’Empire. De même, pour se construire une généalogie, ils extraient parfois des objets vieux de 1000 ou 2000 ans, qu’ils présentent au Templo Mayor, par exemple un masque olmèque, que nous exposons.

Comment la ville de Tenochtitlan et particulièrement le Templo Mayor ont-ils été Découverts par les archéologues ?

F.P.  - Ce sont surtout les fouilles menées depuis 1978 qui nous ont permis de découvrir la civilisation mexica. À l’occasion de travaux dans les sous-sols du centre historique de Mexico a été retrouvé un disque immense, de trois mètres de diamètre, représentant la déesse de la lune Coyolxauhqui, sœur démembrée du dieu tutélaire Huitzilopochtli. Les archéologues ont compris qu’ils se trouvaient au pied du Templo Mayor, et un programme de fouille a été aussitôt engagé. On a retrouvé des vestiges architecturaux à l’intérieur de l’enceinte cérémonielle, mais aussi pas moins de 209 offrandes – de très beaux coffres en pierre, des objets en obsidienne, des animaux recouverts d’or… Ainsi que des codex, des sculptures, que les archéologues ont exhumé en réalisant des sondages parfois très complexes, au milieu des tuyaux de gaz et des réseaux d’électricité !

Quelles sont les pièces les plus Importantes de l’exposition ?

S.B. -  C’est une exposition exceptionnelle, montée avec le plus grand spécialiste des Mexica, Leonardo Lopez Lujan, qui dirige les fouilles, auxquelles il participe depuis une trentaine d’années. À travers plus de 500 pièces, dont les trois quarts n’ont jamais été montrées, le public pourra admirer les découvertes les plus récentes, mais aussi des pièces anciennes conservées dans nos collections, ainsi que le Codex Borbonicus, trésor conservé par la bibliothèque de l’Assemblée nationale depuis 1826 et présenté pendant les deux Premiers mois de l’exposition.
f.p. -  La visite commence par un merveilleux aigle royal en pierre, symbole de Mexica, associé à la guerre, au ciel et au soleil. Il s’agit d’une pièce sacrificielle, qui recevait les cœurs des victimes. Cette sculpture, représentative de l’art mexica, est remarquable par l’extrême précision des détails. Ses plumes, très réalistes, sont ainsi sculptées avec une délicatesse infinie. Parmi les pièces phares, on peut citer également une statue de 1,80 mètre de haut, en céramique, représentant Mictlantecuhtli, dieu de la mort.S.B.  - L’exposition permet d’approcher au plus près la pensée religieuse des Mexica, à partir des riches offrandes exhumées au pied du Templo Mayor. Nous pouvons donner à voir des contextes entiers, extrêmement complexes ! Certaines offrandes contiennent des centaines d’objets, des dizaines d’espèces animales différentes… Or, tout cela est pensé, posé, selon des principes très précis. On peut observer par exemple un rituel complet de l’eau, associé à l’arrivée de la pluie. Les Mexica ont représenté le dieu Tlaloc versant la pluie, en inclinant un vase au-dessus d’un bol dans lequel ont été placées des perles de jade représentant l’eau…

Comment ces offrandes des Mexica Témoignent-elles de leur cosmogonie ?

F.P.  - Pour les Mexica, l’univers se structure en trois couches. Le monde terrestre, le nôtre, se trouve entre le monde céleste – monde solaire, guerrier, masculin – et le monde souterrain – froid, humide, féminin – où sont conservées les graines. Le centre de chacun de ces mondes est traversé par un axis mundi, qui leur permet de communiquer. Dans la culture mexica, tout est pensé en opposition et en complémentarité. Ainsi, le monde souterrain, celui de la mort, permet le jaillissement de la vie : l’eau provient des sous-sols et se transforme en nuage pour devenir pluie et faire jaillir la vie. Dans une offrande, des objets peints en bleu, couleur du monde souterrain, peuvent répondre à d’autres peints en ocre, couleur du monde céleste. C’est aussi cette dualité, cette complémentarité qui permet de comprendre les sacrifices : la mort rend possible la vie…

La réputation sanguinaire des Mexica est-elle une réalité ?

S.B.  - Les Mexica pratiquent en effet des sacrifices humains, comme les autres groupes mésoaméricains ! Mais ils ont un savoir-faire extraordinaire pour les mettre en scène : ils transforment les crânes humains, agencent les os pour en faire des sculptures étonnantes… Ce sont de grands artistes du sacrifice ! Les hommes sont liés aux dieux par un pacte, qui s’est noué au commencement du monde, lorsqu’un dieu s’est sacrifié pour les hommes. Les échanges entre les dieux et les hommes, par des offrandes, de l’encens, des sacrifices, ont lieu à certaines dates, notées dans un calendrier, lors de grands événements, ou à l’occasion de crises, comme les famines. La société est extrêmement religieuse. Quand vous naissez, vous appartenez à l’Empire, et l’Empire vous appartient. Si on vient chercher vos enfants pour les envoyer à la guerre, vous en retirez aussi de grandes richesses. C’est une Source de fierté très forte.
F.P.  - Les sacrifiés, auxquels on arrache le cœur ou que l’on décapite, sont généralement des guerriers captifs. Mais ils peuvent aussi être des femmes ou, pendant les famines par exemple, des enfants, dont les pleurs sont Associés à l’appel de la pluie.
S.B.  - Les Mexica sacrifient également des animaux, amenés à Tenochtitlan et enfermés dans des vivariums appartenant à l’empereur. Il y avait des pumas, des jaguars, des loups, des serpents, des aigles, des faucons… Ils étaient sacrifiés et ornés d’attributs guerriers, devenant ainsi aptes à accompagner les dieux. Comme ce loup, associé à l’or, partie supérieure de l’univers, que nous présentons ici. Pour clôturer le parcours, l’exposition montre comment une vision du monde préhispanique, et une pratique des offrandes sont encore présentes dans le Mexique d’aujourd’hui.

Fabienne de Pierrebourg et Steve Bourget
sont conservateurs du patrimoine et responsables des collections Amérique au Musée du Quai Branly.
À voir
« Mexica. Des dons et des dieux au Templo Mayor »,
Musée du quai Branly – Jacques Chirac37 quai Branly, Paris 7e, du 3 avril au 8 septembre.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°774 du 1 avril 2024, avec le titre suivant : C’est au sommet du Templo Mayor que les Mexica honorent leurs dieux

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