BRUXELLES / BELGIQUE
L’exposition consacrée à l’artiste belge clôt le cycle « Poésie balistique » lancé en 2016 à La Verrière. L’occasion de découvrir un univers littéraire empreint de fantaisie qui mérite le déplacement.
Bruxelles. Elle n’est pas à l’aise face aux journalistes, mais son œuvre parle pour elle. Rarement exposé, le travail de Jacqueline Mesmaeker s’est construit dans la marge. « Peut-être cela explique-t-il en partie sa liberté de création », souligne le commissaire Guillaume Désanges. Peu rompue aux habitudes du monde de l’art, la nonagénaire belge a même paru surprise qu’un commissaire se propose de l’accompagner dans un projet d’exposition qu’elle a volontiers accepté. Pourtant, « si cela n’avait tenu qu’à elle, peut-être aurait-elle accroché en tout et pour tout cette photographie et ce miroir en vis-à-vis », raconte Guillaume Désanges. Une forme d’exultation discrète – et pour le moins, contagieuse.
La photo en question, c’est une vue en noir et blanc d’un paysage vide bordé de chaque côté d’un rideau d’arbres. L’encadrement est en bois doré, le cartel, enchâssé, indique : « Versailles avant sa construction ». Les deux sont là pour égarer le spectateur autant que pour l’égayer. Car cette vue paysagère est celle d’un banal cliché de bord d’autoroute. L’anachronisme du procédé argentique, la référence implicite au genre de la photo documentaire, et en pointillé, la critique allusive à la grandeur française, son lustre et ses fastes passés, agissent comme une déflagration douce. Placé sur le mur d’en face, un miroir au tain piqué sur lequel on lit en fines lettres capitales : « Versailles après sa destruction ».
Humour belge ? Petit pied de nez sans doute, à la puissance invitante ; la maison Hermès est un autre symbole du bon goût et de l’excellence tricolore. Parenté suggérée, aussi, avec l’œuvre de Marcel Broodthaers, déboulonneur de postulats institutionnels, sous l’égide duquel était placé le cycle poésie balistique qui s’achève avec cette neuvième exposition. Si le sentiment de vide a d’abord saisi le visiteur sur le seuil, il succombe rapidement à un agencement subtil qui ménage ses effets. Car le regard se trouve attiré par des trajectoires quasi invisibles, comme celles des Introductions roses, bandes de serge de coton teinté inséré dans les interstices de l’architecture avec une méticuleuse précision, pour une intervention in situ minimale – et malicieuse.
Il y a aussi, sous vitrine, ces bourses de ceintures en velours [voir illustration] reproduisant dans des couleurs pop la forme de celles en usage au XVIIIe siècle, mais ici fendues d’une béance délicatement ourlée. Des bourses très féminines, donc. Et encore, de part et d’autre, de grands calligrammes muraux, ruissellement immobile de mots recélant un nom à déchiffrer selon un code de lecture. Le tout témoigne d’un sens élégant du jeu et de la fantaisie, dont il est jubilatoire de constater à quel point il a conservé sa fraîcheur. Ultime point d’ironie, une Poire pétrifiée sur son socle, pose au ready-made naturaliste. Il était temps, c’est sûr, de redécouvrir Jacqueline Mesmaeker.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°518 du 1 mars 2019, avec le titre suivant : L’œuvre très belge de Jacqueline Mesmaeker