Nombreux sont les peintres modernes et contemporains qui ont célébré leur propre liberté, tant au niveau du fond que de la forme, transgressé volontairement les \"us et coutumes\" de l’art et cherché dans un ailleurs pluriel des sources nouvelles d’inspiration. La sculpture a été tout au long de ce siècle l’un de ces champs dans lesquels les maîtres du pinceau se sont ressourcés, en y apportant leur propre fraîcheur.
Les peintres ont toujours regardé avec un certain respect teinté d’admiration le travail des sculpteurs. Au contraire de ce métier lentement maîtrisé, intrinsèquement lié à une longue tradition, les peintres abordent la sculpture sans a priori, ivres de liberté à la conquête de nouveaux territoires. Pour beaucoup d’entre eux, le passage à l’œuvre en trois dimensions marque une étape importante dans leur carrière. Cette volonté de se "reposer de la peinture", pour reprendre les termes de Jean-Louis Prat, directeur de la Fondation Maeght à Saint-Paul-de-Vence et commissaire de l’exposition "La sculpture des peintres", est aussi symptomatique de la nécessité de rompre avec une certaine facilité, de faire face à l’imprévu, de reprendre à son stade initial le processus même de la création. Face à une difficulté littéralement physique dans l’appréhension de la matière, le peintre apporte à la sculpture le mouvement, la vitesse, rompant délibérément avec une démarche parfois laborieuse. L’artiste est ainsi directement confronté à la réalité, à la matière qui sans cesse semble lui échapper et lui résister, qu’il faut apprivoiser et maîtriser. Le peintre arrive néanmoins plus facilement à se dégager de ces contraintes que le sculpteur, même s’il doit être plus attentif, plus efficace pour démontrer son propos. Surtout, la sculpture offre de nouvelles perspectives à son œuvre picturale. Ce travail de la matière, les peintres l’ont pour la plupart réalisé dans la plus grande discrétion – les sculptures de Picasso, par exemple, n’ont été dévoilées qu’après sa mort. Pourtant, les artistes ont toujours cherché à dominer leur sujet, à exceller dans un domaine qui n’était pas le leur. Le peintre s’adonne au travail de la matière, à l’assemblage, à la taille, simplement pour lui-même, répondant à une nécessité intérieure, la sculpture étant, selon Jean-Louis Prat, "la conscience du peintre". Ainsi, même si elles n’ont pas rencontré auprès ses contemporains le même succès que ses peintures, les œuvres en trois dimensions de Degas ont permis au peintre de s’ouvrir à de nouveaux champs, de nouvelles perspectives, de se dépasser. Matisse décide de se lancer également dans l’aventure en ayant toujours à l’esprit ses propres recherches picturales et les problèmes auxquels il est confronté. Il y trouve une nouvelle énergie pour se replonger dans la peinture et aborder la toile avec un point de vue renouvelé, riche de clés inédites nées de sa confrontation avec la matière, et du modelé de l’œuvre en trois dimensions. Matisse déclarait : "Je me livre parfois à la sculpture qui me permet, au lieu d’être placé devant une surface plane, de tourner autour de l’objet et de mieux le connaître". Si les sculptures de Picasso ont longtemps été considérées comme un pan mineur de son œuvre, l’artiste s’est ressourcé dans le travail de la matière, stimulant par là même son œuvre picturale.
Dans un registre différent, Modigliani – qui se disait sculpteur avant d’être peintre – n’a pourtant réalisé que vingt-six sculptures, formes plus pleines, plus compactes qui ont ouvert la voie à une peinture idéalisée. Dans les années soixante-dix, la sculpture a conduit Antoni Tàpies à un véritable renouvellement de son travail pictural. Pour Jean Dubuffet, la confrontation à une nouvelle matière – le polystyrène expansé – va lui permettre, à partir de sculpture peintes, de nourrir sa réflexion et de développer de nouvelles formes, qui alterneront alors plastiquement entre peinture et sculpture. Dans un tout autre domaine, les personnages de Willem de Kooning, aux corps meurtris, effrayants de souffrance, prendront plus de force encore dans leur représentation en trois dimensions, trouvant leur expressivité, loin de la couleur, dans la matière seule. Pourtant, d’autres artistes ont apporté à la sculpture cette peinture dont ils étaient si familiers. À travers ces différentes démarches, c’est l’histoire de la sculpture qui en a bénéficié, presque par défaut : ils ont fait avancer à grands pas un domaine à l’évolution traditionnellement lente et ont introduit dans ces œuvres en trois dimensions les débats artistiques les plus récents, du Cubisme à l’Expressionnisme, de la simplification des formes à l’Abstraction. Étape d’une réflexion globale mais création à part entière, la sculpture touche, pour tous ces peintres, à quelque chose d’essentiel.
LA SCULPTURE DES PEINTRES, jusqu’au 19 octobre, Fondation Maeght, 06570 Saint-Paul-de-Vence, tél. 04 93 32 81 63, tlj 10h-19h ; à partir du 1er oct. : 10h-12h30, 14h30-18h.
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Les peintres sculptent à Saint-Paul
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Galerie Catherine Issert, 06570 Saint-Paul-de-Vence, tél. 04 93 32 96 92, jusqu’au 30 août.
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Galerie Beaubourg, château Notre-Dame-des-Fleurs, 2618 route de Grasse, Vence, tél. 04 93 24 52 00, jusqu’au 31 octobre.
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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°41 du 4 juillet 1997, avec le titre suivant : Les peintres sculptent à Saint-Paul