Depuis les années quatre-vingt, la photographie bénéficie en France d’une reconnaissance accrue. Les achats publics se sont intensifiés, des galeries se sont créées, de nouvelles institutions se sont ouvertes. La création ce mois-ci d’une foire spécialisée, “Paris Photo”?, fait partie des initiatives visant à encourager le marché et les collectionneurs. Pourtant, cet engouement ne doit pas faire illusion. Toutes ces constructions restent fragiles et, paradoxalement, les photographes sont à bien des égards dans une situation nettement moins favorable qu’il y a dix ans. Des réorientations vont nécessairement s’opérer.
Comme l’a montré la récente exposition au Centre Pompidou, "Face à l’Histoire", le reportage a connu entre la fin de la Première Guerre mondiale et le début des années quatre-vingt un âge d’or, dépassant dans sa durée celle de toute autre expression photographique. C’était le temps où la presse était florissante, où elle pouvait “envoyer” des photographes sur des sujets et publier une série d’images, un point de vue et une réflexion. Temps béni où le photographe savait quelle place, quel format ses images allaient occuper. En France comme ailleurs, certains grands noms n’auraient pas acquis leur notoriété actuelle sans les journaux qui leur ont donné les moyens de construire un langage photographique, dans le photojournalisme comme dans la mode. Aujourd’hui, les difficultés de la presse, le développement des télévisions – les "chaînes infos" – ainsi que les manipulations possibles sur l’Internet déprécient l’image fixe, devenue un produit parmi tant d’autres. Les magazines préfèrent s’approvisionner auprès d’agences plutôt que de commander des sujets. La presse n’est plus le support privilégié de la reconnaissance, le travail d’auteur n’a plus de place dans une mécanique qui a fait son deuil de l’innovation. Le “syndrome Diana” a révélé combien le “people”, le voyeurisme et les images des paparazzi avaient pris d’importance dans le chiffre d’affaires de ces agences. Un sein volé rapporte plus qu’un sujet de société ou un reportage. Cette situation oblige nombre de photographes à des réorientations. Face au tarissement de la presse, l’édition n’apparaît pas encore comme une planche de salut. En France, le nombre d’éditeurs spécialisés se réduit à un duo, et un livre de photographies dépasse rarement les 800 exemplaires dans le commerce. Il faut constater que le public, de plus en plus nombreux dans les expositions, feuillette les livres sans avoir envie de les acheter. Peu d’ouvrages sont conçus comme des objets en soi, mais la plupart simplement comme une succession d’images plus ou moins bien sélectionnées et ordonnées. Et, culturellement, l’image photographique ne renvoie pas toujours à un désir de possession. La photographie n’a pas encore acquis auprès du grand public le statut d’objet d’art, à ses yeux elle reste éphémère et volatile. Parallèlement, l’art contemporain qui a fait accéder le médium à ce statut – pièces, tableaux… – a introduit de nouveaux clivages et jeté un trouble. "Photographes artistes" ou "artistes photographes" : les auteurs ont parfois du mal à définir leur travail face aux oscillations des institutions ou des galeries. L’utilisation de la photographie doit affronter de nombreuses mutations et réévaluations du médium. Presse, édition, art contemporain obligent les photographes, chacun à leur manière, à de nouveaux comportements.
Paris Photo, 21-24 novembre, Carrousel du Louvre, 11h-20h, vernissage le jeudi 20 novembre 19h-23h.
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Les nouveaux enjeux
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°47 du 7 novembre 1997, avec le titre suivant : Les nouveaux enjeux