Art contemporain

Les machineries poétiques de Francisco Tropa

Par Anne-Cécile Sanchez · Le Journal des Arts

Le 15 novembre 2022 - 722 mots

PARIS

L’artiste portugais, qui avait représenté son pays à la Biennale de Venise en 2011, transforme le sous-sol du Musée d’art moderne de la ville de Paris en une grande salle des machines, artisanales et poétiques.

Paris. La première exposition personnelle consacrée à Francisco Tropa (né en 1968) par une institution parisienne avait été précédée en France par celle organisée au Musée régional d’art contemporain Occitanie (Mrac), à Sérignan, en 2015. On y retrouve d’ailleurs la pièce d’ouverture, Le Songe de Scipion [voir ill.], qui appartient à un projet intitulé « TSAE » (Trésors submergés de l’Ancienne Égypte) développé par l’artiste entre 2006 et 2015. Suspendu dans les airs, ce Songe apparaît comme un immense mobile géométrique. Un parallélépipède bleu et deux disques de tailles différentes, le plus grand orangé, le second blanc, sont soumis à une légère rotation qui en modifie la perception, la composition évoquant à un certain moment une représentation schématique du système solaire.

L’œuvre constitue une parfaite introduction au travail de Francisco Tropa. Par sa beauté plastique, sa façon de jouer avec un répertoire de formes, le mouvement discret qui l’anime et la référence littéraire classique à laquelle renvoie son titre. Le Songe de Scipion, explique Francisco Tropa, est un rêve décrit dans De re publica de Cicéron, où il est question d’une rencontre post-mortem entre Scipion et son aïeul, leur échange servant de prétexte à des considérations sur le cosmos et l’organisation politique de la société. Le dispositif est également un clin d’œil explicite à Alexander Calder, dans l’atelier duquel Tropa se trouvait alors en résidence, à Saché.

Quand on l’interroge sur son intérêt pour l’Antiquité, il répond : « C’est que c’est un endroit où il y a moins de bruit. » Si ce n’est, peut-être, le murmure léger d’un filet d’eau s’écoulant depuis un robinet dans un seau qui jamais ne déborde : l’œuvre s’appelle Panta Rhei (2018) et elle évoque autant l’impermanence des choses chère à Héraclite que la circulation immuable des liquides en circuit fermé.

La question des fluides est aussi contenue dans l’installation principale de l’exposition, qui lui donne son titre, Le Poumon et le Cœur (2018), et qui est quasiment inédite – une version en avait été brièvement montrée en Allemagne avant la pandémie. Francisco Tropa l’a pensée pour une salle plongée dans une pénombre favorable à l’atmosphère onirique qu’il souhaite susciter. Elle est constituée de cinq modules reprenant chacun quatre éléments identiques : des palissades – en bois et en acrylique teinté rouge –, une lanterne de camping vissée sur une bouteille de gaz faisant office de réverbère, des casques montés sur des tiges à la façon de policiers hiératiques, un faux morceau de viande pendu à un fil à la manière d’un appât. Ces petites scènes muettes sont complétées par des posters d’imagerie médicale dont l’artiste a modifié le chromatisme afin de l’unifier. Là encore, un moteur caché confère un léger mouvement aux casques, l’idée étant que le visiteur se sente à l’intérieur d’un mécanisme, celui, par exemple, de la vision ou de la pensée.

Duchamp en référence

On retrouve plus loin dans la sculpture Firmament (2017), cette allusion au principe horloger avec ces plaques de cuivre formant un petit temple qui offrent une parenté directe avec celles où se loge la pelote de ficelle d’À bruit secret, de Marcel Duchamp. Ce dernier est une référence constante pour Tropa. Le fait que Le Poumon et le Cœur permette notamment d’observer dans l’espace vertical entre deux planches un bout de chair sanguinolent fait immanquablement penser à la chambre optique de la pièce duchampienne Étant donnés… Mais qui sait exactement ce que veulent signifier les œuvres de Francisco Tropa ?

Au Mrac à Sérignan, la projection d’une lame d’Agate (2022) évoquait les contours translucides et ourlés d’un œil géant. Placée ici dans un autre sens, l’image se charge plutôt d’une signification utérine et peut aussi bien faire penser au mythe de la caverne de Platon. L’illusion est-elle la seule réalité que nous laisse l’artiste ? Ses appâts de bronze peints ne sont-ils que des leurres proposés à notre imagination, condamnée à errer à l’intérieur de ces rébus ésotériques où les figures d’autorité croisent les enjeux de la science et la tentation du voyeurisme ? Moins qu’une frustration, c’est une intense stimulation que l’on éprouve en parcourant cette exposition ouverte aux spéculations de l’intellect autant qu’à l’émerveillement.

Le poumon et le cœur, Francisco Tropa,
jusqu’au 29 janvier 2023, Musée d’art moderne de Paris, 11, avenue du Président Wilson, 75016 Paris.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°598 du 4 novembre 2022, avec le titre suivant : Les machineries poétiques de Francisco Tropa

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