PARIS
Le Musée national de l’histoire de l’immigration propose une saison « Asie » consacrée aux migrations asiatiques, peu connues du grand public malgré une présence ancienne en France.
Paris. Fidèle à sa mission qui est « d’attirer l’attention sur des sujets dont on parle trop peu », selon Constance Rivière, directrice générale du Palais de la porte Dorée, le Musée national de l’histoire de l’immigration explore les communautés asiatiques de France à travers deux expositions très différentes : l’une, historique, la seconde centrée sur les artistes chinois. Toutes deux retracent cependant de manière sensible l’évolution des relations entre les communautés asiatiques et la France, depuis le « japonisme » du XIXe siècle jusqu’aux boat people des années 1970 et aux opposants chinois en exil.
L’exposition historique démarre en pleine expansion coloniale, dans les années 1860, lorsque les relations diplomatiques entre les royaumes d’Asie du Sud-Est et la France s’intensifient. Le regard porté sur les Asiatiques reste alors marqué par les préjugés, jusque dans les portraits de diplomates : les commissaires Émilie Gandon et Simeng Wang soulignent que les photographies du Muséum d’histoire naturelle de Paris témoignent d’« un regard ethnologisant » sur les délégations d’ambassadeurs, avec des poses de face et de profil comme dans les colonies. À l’inverse, le portraitiste Nadar photographie ces diplomates comme des modèles à part entière. Le parcours s’attache donc ici à montrer les préjugés à travers les regards portés sur les « indigènes » présents aux Expositions universelles, les ouvriers indochinois venus travailler dans les usines en 1914, les étudiants vietnamiens de Paris ou les commerçants chinois. De nombreux documents attestent que ces communautés se sont structurées dès les années 1920, avec des journaux étudiants, des associations et des lieux culturels dont le principal était l’Institut franco-chinois de Lyon, une école liée à l’Université. En ce qui concerne les artistes, l’exposition effleure seulement le sujet, mais fait un focus intéressant sur le peintre Foujita et son influence dans les milieux artistiques parisiens.
À partir des années 1930 l’anticolonialisme traverse ces communautés, et les indépendances de 1954 accélèrent le mouvement : des populations venues du Laos, du Cambodge et du Vietnam arrivent en France, et sont parfois logées pendant plusieurs années dans des camps d’accueil pour réfugiés. Les commissaires ont choisi de « montrer les conséquences de la guerre du Vietnam plutôt que le conflit » d’où des archives de presse sur les « boat people » (130 000 réfugiés) et des photographies de familles du 13e arrondissement, le Chinatown parisien. La période contemporaine aborde la montée du militantisme antiraciste, d’abord localisé puis étendu avec l’implication des jeunes Asiatiques qui cherchent leurs racines. Bandes dessinées, dessins et films des années 1990 et 2000 illustrent les aspirations de cette génération confrontée aux mêmes questionnements que les communautés d’Afrique ou du Maghreb. Une dernière section rappelle que la crise du Covid-19 a réactivé le racisme anti-asiatique partout dans le monde.
Par comparaison, la seconde exposition, intitulée « J’ai une famille », semble plus légère bien que certaines œuvres aient un fort sous-texte politique. Elle rassemble « une famille d’artistes chinois » de France selon les commissaires Hou Hanru et Evelyne Jouanno. Arrivés pour la plupart d’entre eux dans les années 1990, ces créateurs ont fait carrière individuellement même s’ils sont liés par une forte amitié. Wang Du et Yan Pei-Ming, les plus célèbres du groupe, soulignent bien qu’ils « ne forment pas une école artistique », ce que démontre la réunion de leurs œuvres. Entre les grandes installations politiques de Chen Zhen, les tours de Babel de Du Zhenjun et les tableaux sombres de Yan Pei-Ming, seul le regard porté sur le monde fait lien. Cependant les entretiens filmés avec des artistes livrent un témoignage intéressant sur leurs conditions d’arrivée en France, un contexte qui les unit en tant qu’immigrés ou réfugiés, et sur leurs liens à la Chine. Yang Jiechang dit avoir eu la chance de rencontrer le conservateur Jean-Hubert Martin, qui lui a fourni du matériel de peinture et un atelier, ce qui lui a évité, dit-il, de « devenir un rouage de la société socialiste chinoise ». Son œuvre reste cependant influencée par la calligraphie chinoise, et par les événements de Tian’anmen (1989). De même l’œuvre de Ru Xiao Fan s’interroge-t-elle sur le bouddhisme et les traditions à travers de troublantes statuettes de Bouddha à tête de fleurs en porcelaine, posées sur des bols artisanaux rustiques. Au centre de l’exposition trône l’impressionnante table aux chaises figées de Chen Zhen (Round Table, 1995), métaphore des organisations internationales impuissantes face aux crises : cette œuvre conserve malheureusement toute son actualité.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°621 du 17 novembre 2023, avec le titre suivant : Les communautés asiatiques en France, une histoire politique et culturelle