Véritables passionnés, Sterling et Francine Clark ont constitué une importante collection de peinture française du XIXe siècle. Le Musée des impressionnismes, à Giverny, en présente une superbe sélection.
Dans les années 1890, l’installation à Giverny de toute une colonie d’artistes américains dans l’orbe de Monet en dit long sur la fascination qu’exerçait sur eux la scène artistique française. À leur suite vit le jour une pléiade de collectionneurs d’outre-Atlantique qui firent les beaux jours critiques de l’art moderne. Cet effet d’époque perdura de nombreuses décennies, notamment grâce à l’intelligence stratégique de certains marchands, parmi lesquels Paul Durand-Ruel, qui surent leur vanter et leur vendre la grandeur et la richesse de la création picturale française. À l’inventaire des noms de ces collectionneurs américains férus d’art français figure celui de Robert Sterling Clark (1877-1956), auquel on doit ajouter le prénom de son épouse, Francine (1876-1960), une actrice française de second plan. Né trois ans après la première exposition impressionniste, Clark est issu d’une famille new-yorkaise très aisée, de parents eux-mêmes collectionneurs et mécènes. Héritier par son grand-père de la fortune des machines à coudre Singer et d’un petit lot d’œuvres d’art ancien, il décide de collectionner à son tour et, dès lors qu’il vient à Paris en 1912, y réussit de manière totalement indépendante, se tenant à l’écart des mouvements d’avant-garde qui en animent l’actualité. Plus de quarante ans d’une collection intuitive Homme de goût, cultivé et raffiné, Clark reste surtout hanté par la qualité, faisant preuve d’un grand éclectisme dans ses choix esthétiques et ne s’interdisant pas de rassembler des œuvres de tendances aussi diverses que le naturalisme, l’académisme, l’école de Barbizon, l’impressionnisme, le symbolisme et les Nabis. On peut toujours discuter les choix que fait un collectionneur. Encore faut-il considérer toute collection à l’aune de l’aventure personnelle, résolument subjective, de celui qui l’a constituée. Dans le cas de Clark, il est par exemple impossible de ne pas tenir compte du rôle qu’a joué son épouse. Non seulement elle était animée d’une même irrépressible passion que son mari, mais celui-ci la considérait comme « excellent juge, bien meilleur que moi, parfois », avouait-il volontiers, lui accordant même la qualité d’« experte dans l’évaluation des œuvres ». À parcourir la collection des Clark, force est d’observer qu’elle ne procède pas d’une construction particulière, pas plus qu’elle n’a été constituée en termes thématiques. Elle relève pleinement de ce genre d’ensembles qui sont le fait d’amateurs et offre à voir une diversité de sujets et de styles caractéristiques d’une époque qui a ouvert toutes sortes de nouvelles voies, quitte parfois à les faire se superposer les unes aux autres. La collection de Sterling et Francine Clark compose ainsi comme un florilège de l’histoire de l’art, de Corot et Manet à Renoir – celui-ci étant particulièrement choyé des collectionneurs – et Bonnard. Une sorte d’anthologie d’autant plus intéressante qu’elle est très personnelle et ne correspond à aucune doxa officielle. La collection Clark est une collection pour le plaisir des yeux et de l’esprit, en écho au concept de modernité tel qu’il a été développé au cours du XIXe siècle. Une fondation gardienne de purs chefs-d’œuvre Si portraits, scènes de genre et paysages en sont les genres les plus récurrents, on y trouve aussi des natures mortes, voire quelques rares peintures religieuses ou mythologiques. À l’instar d’une époque qui a connu le triomphe de la bourgeoisie, il s’agit pour l’essentiel d’une iconographie de la vie au quotidien, plus ou moins réaliste. Avec de purs chefs-d’œuvre comme ce Portrait de Louise Harduin (1831) par Corot, ces Amateurs d’estampes (vers 1860-1863) de Daumier, cet Autoportrait (vers 1875) de Renoir, ces Danseuses au foyer (vers 1880) de Degas, ce Nu assis (1884) de Bouguereau, ces Falaises à Étretat (1885) de Monet et encore cette Jeune Chrétienne (1894) de Gauguin. Au terme d’une quarantaine d’années d’achats (la plupart des œuvres ayant été acquises entre 1910 et 1950), les Clark ont décidé de créer en 1955 une fondation pour les y abriter et les offrir au regard du public. Installé à Williamstown, le Sterling and Francine Clark Institute recèle ainsi l’une des plus importantes collections de peinture française de cette seconde moitié du XIXe siècle. L’exposition « De Manet à Renoir », que l’on peut voir au Musée des impressionnismes, à Giverny, en propose un ensemble élargi qui illustre la démarche éclairée d’un couple fou de peinture.
Partagée en quatre sections – « Le Salon », « L’impressionnisme », « Renoir, peintre d’élection de la collection Clark » et « Au-delà de l’impressionnisme » –, l’exposition de Giverny offre un parcours condensé dans le temps et dans l’espace. Elle est l’occasion de revisiter, comme en accéléré, à travers une sélection de soixante-douze œuvres, les moments forts d’une histoire de la peinture française. Si certains de ceux-ci sont avantageusement représentés par rapport à d’autres, seulement ponctués, c’est qu’il y va de la mise à plat du regard, pleinement subjectif, d’un couple de collectionneurs. Par son titre, « De Manet à Renoir », l’exposition givernoise risque le malentendu, car ces deux extrêmes y sont présents de façon cruellement antinomique. Alors que le génial Manet n’y fait qu’une simple figuration, Renoir y abonde, avec près de quatre-vingts toiles, en peintures trop souvent sucrées. Giverny, le lieu juste Il n’en reste pas moins que, malgré une scénographie sans invention particulière et une ambiance chromatique quelque peu surannée, cette exposition trouve à Giverny, dans ce Musée des impressionnismes, une place parfaitement pertinente. Ce qui confirme la justesse de sa programmation. Le choix des toiles y est aussi le plus souvent un régal parce que ce sont là des œuvres que l’on n’a pas vues souvent, ou si rarement, ainsi cet Intérieur à Arcachon de Manet de 1871 ou cette Attente de Toulouse-Lautrec vers 1888. Il y a là quelque chose de troublant, comme d’une marque féminine et gracieuse, qui court sur l’ensemble de toutes les cimaises du musée.
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Les Clark - Un regard américain sur l’art français du XIXe
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Abonnez-vous dès 1 €Informations pratiques. « La collection Clark à Giverny, de Manet à Renoir » jusqu’au 31 octobre 2011. Musée des impressionnismes à Giverny (27). Ouvert tous les jours de 10 h à 18 h. Tarifs : 6,5 euros www.museedesimpressionnismesgiverny.com
La fondation à Williamstown. Lorsque le couple Clark décide de créer un musée en 1955 à Williamstown (Massachusetts), il fait appel à l’architecte Daniel Perry qui imagine un bâtiment néoclassique en granit blanc. Pendant 20 ans, la collection s’étoffe et il faut augmenter la surface du site. Le projet d’un deuxième bâtiment est alors confié en 1973 à Pietro Beluschi. En 2008, un troisième espace de 3 000 m2 est conçu par l’architecte japonais Tadao Ando. Mais déjà la fondation se sent à l’étroit : un nouveau projet d’extension est donc en cours.
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°639 du 1 octobre 2011, avec le titre suivant : Les Clark - Un regard américain sur l’art français du XIXe