La Maison européenne de la photographie consacre l’ensemble de ses espaces d’exposition à « Genesis », vision romantique d’une nature originelle et intacte dans sa splendeur.
Après « La main de l’homme » et « Exodes », « Genesis », la nouvelle saga de Sebastião Salgado, déplace les foules à Paris comme à l’étranger, où l’exposition tourne déjà depuis près d’un an. Changement de cap cependant dans le troisième volet de la trilogie, avec un thème consacré à la nature originelle et aux peuples vivant encore en elle, peuples nomades de Sibérie ou tribus isolées des forêts amazoniennes ou africaines. Les violences des sociétés humaines, ses drames et ses tragédies ont déserté les clichés. Le sublime kantien, dans toute l’intensité dynamique des forces qui se déploient en lui, prédomine, puissant.
Dans les textes introductif et conclusif du parcours, lisibles sur les murs de la Maison européenne de la photographie (MEP), Sebastião Salgado et Lélia Wanick Salgado – sa femme et complice depuis plus de quarante ans, commissaire de l’exposition — balaient cependant tout contresens que ce corpus de 250 photographies pourrait engendrer. « En plus d’être une ode à la nature, Genesis est aussi un appel aux armes », écrivent-ils. « Nous ne pouvons continuer de polluer le sol, l’eau et l’air. Il faut agir sans tarder afin de préserver les terres et océans encore intacts, ainsi que les sanctuaires où vivent les animaux et les peuples fidèles à leurs modes de vie traditionnels. Il faut aussi tenter de réparer les dommages que nous avons causés. »
Un regard engagé
Leurs mots et procédés expriment leur engagement, hier contre l’exploitation de l’homme par l’homme, aujourd’hui pour l’écologie. Que ce soit à travers l’ONG Instituto Terra qu’ils ont fondé au Brésil pour sauver de la déforestation le ranch familial, élevé depuis au rang de parc national, ou à travers « Genesis », projet né dans le prolongement de ce retour à la vie de ce « paradis » comme il le dénomme, où il est né et a grandi. Sebastião Salgado, qui aura l’année prochaine 70 ans, demeure le militant qu’il fut à 20 ans et le conteur toujours aussi soucieux de l’information précise dans les légendes de ses photographies. L’homme n’a pas perdu ses convictions n’en déplaise à ceux qui, après avoir loué le lyrisme des images de « La main de l’homme », (1993) vilipendent depuis leur « esthétisme sentimental » comme si le changement de statut de reporter photographe, qu’il fut pendant très longtemps, et son départ de Magnum en 1994 avaient provoqué une rupture dans sa manière d’être au monde, de le voir et de le raconter.
Engagement politique et recherche esthétique, Salgado ne les a jamais dissociés. Salgado est un fidèle. Un fidèle d’abord au noir et blanc, plus précisément à sa gamme chromatique vertigineuse de gris, renforcée comme d’habitude dans ses lumières, contrastes par les tirages sublimes de Valentine Hue et Olivier Jasmin qui rendent palpable la moindre scène, la moindre matière – roche, eau algues, feuillage, plumage, pelage ou grain de peau. Si le photographe brésilien dit avoir « beaucoup pensé à Ansel Adams, à l’amour qu’il portait à la nature » durant ces huit années passées à rejoindre en « 4x4, à pied… les sanctuaires et les peuples les plus inaccessibles de la planète », le baroque continue à irriguer ses photographies. Ombre et lumière, contre-jour, cieux tourmentés, voiles de brume et hyper représentation prédominent dans tous les étages de la MEP où se distribuent les cinq sections géographiques de Genesis : l’Amazonie, le sud de la planète, l’Afrique, les territoires du nord et les sanctuaires naturels ici resserrés sur ceux des Galápagos et Madagascar.
Le sacre de la nature
Montagnes des forêts humides de la Serra do Imeri, canyons secs d’Arizona, pics élancés du Cerro Torre en Pantagonie ou Chutes Victoria : le sacré imprime ses paysages, l’allégorie tout aussi apparentée d’ailleurs à celle de Terrence Malick avec qui il faillit réaliser un film en Bolivie ; mais allégorie et lyrisme d’une nature originelle que le photographe brésilien ne peut dissocier ni des populations qui y vivent, ni de la faune qui la peuple. Jusqu’à présent, Salgado n’avait jamais photographié de paysages ni d’animaux. « Le regard ne change pas, c’est l’observation que l’on fait qui change. J’ai dû apprendre », dit-il. « Il faut du temps pour comprendre un paysage, s’y intégrer, saisir l’intimité des animaux comme celle des êtres humains qui y vivent. » Beaucoup d’oiseaux dans « Genesis », tous aussi magnifiques les uns que les autres, quelques caïmans également et félins au regard perçant. Les scènes de la vie quotidienne ou les rituels sont aussi présentes chez les Himba en Namibie, que chez les Nénètses en Sibérie, les Yali en Papouasie occidentale ou les Zo’é en Amazonie.
« Genesis » est la saga qui touche à l’intime de Salgado, de son enfance dans la propriété paternelle de 800 hectares de la vallée du rio Dulce. Il le reconnaît : « toute cette idée d’espaces, de dimension est restée en moi. Les plus belles lumières que j’ai vues de toute ma vie, je les ai vues là-bas. » Lumière qui perce dans ses clichés depuis « La Main de l’Homme », comme le rappelle en contrepoint la galerie Polka qui revient parallèlement à l’exposition de la MEP sur la démarche du photographe brésilien en reprenant chronologiquement la trilogie.
Le récit de « Genesis » proposé en différents formats à la MEP, formé d’images puissantes, provoque émerveillement, curiosité, mais aussi au fil du parcours un certain détachement par sa longueur, et les redondances des images. L’installation au milieu d’une des salles et sous un socle du livre paru en grand format chez Taschen n’est pas, de son côté, du meilleur goût. Maladresses qui ne gomment pas pour autant le souvenir prégnant de certaines photographies. Tel ce gros plan de patte d’iguane saisie comme une main gantée dans l’éclat de sa maille métallique.
Maison Européenne de la Photographie, jusqu’au 5 janvier 2014,5/7 rue de Fourcy, 75004 Paris, www.mep-fr.org, mercredi-dimanche 11h-19h45, « Genesis », Taschen, 520 pages, 49,99 €.
Sebastião Salgado, galerie Polka, 9 novembre au 18 janvier 2013, cour de Venise, 12 rue Saint-Gilles, Paris-75003, www.polkagalerie.com, jeudi-samedi 11h-19h30.
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L’Éden de Sebastião Salgado
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°400 du 1 novembre 2013, avec le titre suivant : L’Éden de Sebastião Salgado