Art contemporain - Prix

Le Prix Marcel Duchamp face à l’histoire

Par Anne-Cécile Sanchez · Le Journal des Arts

Le 18 octobre 2023 - 705 mots

PARIS

Parmi les quatre nommés, Tarik Kiswanson a été désigné le 16 octobre comme le lauréat de l’édition 2023. Les finalistes sont exposés au Centre Pompidou.

Les quatre finalistes du prix Marcel Duchamp 2023 : Bertille Bak, Bouchra Khalili, Massinissa Selmani et Tarik Kiswanson. © Julie Ansiau
Les quatre finalistes du prix Marcel Duchamp 2023 : Bertille Bak, Bouchra Khalili, Massinissa Selmani et Tarik Kiswanson.
© Julie Ansiau

Paris. Pour son édition 2023, le prix Marcel Duchamp, organisé en partenariat avec l’Adiaf (Association pour la diffusion internationale de l’art français), semble s’être posé des questions existentielles. « Face au rôle grandissant du collectif dans le monde de l’art, à la fois dans la production des œuvres et leur présentation, quels sont vos sentiments vis-à-vis de cette situation concurrentielle dans laquelle vous vous retrouvez, un peu malgré vous ? », demande ainsi en préambule aux finalistes Angela Lampe, commissaire de l’exposition au Musée national d’art moderne.

Cette question, épineuse, est éludée de différentes façons par les artistes, dont les réponses sont reprises sur les cloisons en introduction à leurs projets. Ceux-ci se déploient cette année de façon symétrique autour d’une galerie centrale. Installée au niveau 4 du Centre Pompidou, dans l’aile contemporaine du musée, l’exposition des nommés dispose en effet d’une nouvelle configuration spatiale, qui isole davantage chaque artiste et l’expérience que l’on peut avoir de son travail. Leurs propositions déclinent chacune un rapport à l’histoire collective et à l’autobiographie. On notera également dans cette sélection l’absence de la peinture.

Exil et déracinement

En entremêlant le registre dramatique et celui de la performance, en élaborant des scénarios à partir de documents d’archives ou en faisant appel à des narrateurs non professionnels, Bouchra Khalili (née en 1975 à Casablanca, Maroc) engendre une réécriture de l’histoire nourrie de subjectivité. Elle présente ici une sélection d’œuvres produites autour de son projet vidéo The Tempest Society (2017), qui fait écho aux expériences théâtrales inspirées par le Mouvement des travailleurs arabes apparu en France dans les années 1970. Ses « hypothèses filmiques en forme de fabulations collectives » selon sa formule, s’accompagnent de photographies et de sérigraphies reprenant le thème de la constellation. Bouchra Khalili est représentée par la galerie Mor Charpentier (Paris) et ADN Galeria (Barcelone).

Tarik Kiswanson (né en 1986 à Amstad, Suède), lauréat de l’édition 2023, a conçu, lui, une installation associant des sculptures ovoïdes immaculées et monumentales à un meuble d’archives et à une armoire dessinée pour l’aménagement des logements des sinistrés après la Seconde Guerre mondiale. De leur rencontre naît une évocation surréaliste de l’exil et du déracinement, thèmes récurrents dans son œuvre. Diffusé sur un moniteur, le film The Fall (2020), qui saisit au ralenti la chute d’un écolier de sa chaise, suggère littéralement le vertige des immigrés de la deuxième génération, auquel l’artiste lui-même, issu d’une famille palestinienne immigrée en Suède, a été confronté. Il est représenté par la galerie Carlier Gebauer (Berlin).

La fable sociale, l’ellipse pour motif

Bertille Bak (née en 1983 à Arras, Pas-de-Calais) évolue entre fable sociale et distanciation onirique. Dans sa démarche, cette petite-fille de mineurs polonais du nord de la France – un héritage socioculturel qu’elle revendique explicitement – brouille les frontières entre le genre du documentaire et la fantaisie qu’offre la fiction. Son installation vidéo Nature morte (partie 1 : l’hiver) met en parallèle la symbolique des fleurs – jusque dans leur incarnation la plus kitsch, les roses de la Saint-Valentin – et les aberrations écologiques de l’industrie horticole intensive. Pour ce projet, l’artiste s’est livrée à une enquête de terrain, puisqu’elle s’est rendue en Colombie – deuxième plus grand exportateur mondial de fleurs après la Hollande –, mais elle introduit dans sa narration des détails cocasses, permettant à son récit d’échapper à la transcription univoque du réel. Bertille Bak est représentée par la galerie Xippas (Paris).

Massinissa Selmani (né en 1980 à Alger) est parti de l’idée de l’ellipse, au propre et au figuré. Le trait est au cœur de son installation intitulée Une parcelle d’horizon au milieu du jour, qui orchestre de façon fluide et délicate le passage du dessin au film d’animation, à la sculpture et à la fresque murale. Minimalistes, ses formes parfois triviales (cactus ou arrosoir) inscrivent dans l’espace une légèreté irrésolue qui invite chacun à déchiffrer d’étranges rébus, dans lesquels apparaissent parfois des références aux textes de Jean Sénac, poète algérien assassiné en 1973 à Alger. Mention spéciale du jury à la 56e Biennale de Venise en 2015, Massinissa Selmani est représenté par la Galerie Anne-Sarah Bénichou (Paris).

Prix Marcel Duchamp 2023. Les nommés,
jusqu’au 8 janvier 2024, Centre Pompidou, Galerie du Musée et Galerie d’art graphique, niveau 4, place Georges Pompidou, 75004 Paris.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°619 du 20 octobre 2023, avec le titre suivant : Le Prix Marcel Duchamp face à l’histoire

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