PARIS
Si l’art néoclassique domine la seconde moitié du XVIIIe siècle, nombreux sont les peintres et les sculpteurs qui, sans méconnaître l’art antique, empruntent une autre voie.
Une mode chasse l’autre. Dès la seconde moitié du XVIIIe siècle, les théories de Winckelmann imposent un nouveau modèle aux artistes, celui du « beau idéal ». Il s’agit donc de s’inspirer de l’exemple antique pour renouer avec les canons d’une beauté aux proportions idéales, ignorant le maniérisme et l’affect qu’avaient appréciés les générations précédentes.
Le dogme de l’antique
En sculpture, les nombreux antiques découverts ou redécouverts lors des fouilles archéologiques indiquent aisément la voie à suivre. Le marbre redevient le matériau de prédilection alors que des typologies sont remises à la mode, tel le portrait en buste, comme l’illustre le parallèle, proposé dans l’exposition, entre le Buste de Trajan (début du iie siècle, Rome, musée du Capitole) et celui de Philipp von Stosch, exécuté par Edme Bouchardon (Berlin, Bode Museum). Considéré comme le meilleur représentant français de cette évolution du goût – il sera contraint de rentrer à Paris, en 1732, où la cour compte sur lui pour imposer une image royale nouvelle –, Edme Bouchardon s’inspire sans détour de la grande statuaire grecque. En témoigne L’Amour taillant son arc dans la massue d’Hercule, délibérément inspiré d’une œuvre du célèbre sculpteur Lysippe (338 et 335 av. J.-C.), dont de nombreuses copies étaient présentes à Rome.
En peinture, la référence à l’antique, qui s’appuyait principalement sur les sources écrites, notamment Pline l’Ancien, est revivifiée par la découvertes des fresques peintes d’Herculanum ou de Pompéi. Proche de Winckelmann, l’Allemand Anton Raphael Mengs devient le meilleur interprète de sa doctrine. Il impose ainsi à la peinture le primat du dessin et rompt avec la perspective illusionniste, lui préférant les compositions en frise. Sa fresque du Parnasse peinte pour la villa Albani (1761), figurant Apollon – inspiré dans sa posture de l’Apollon du Belvédère des collections pontificales – entouré des muses, est alors considérée comme un chef-d’œuvre du genre. Mais le peintre est aussi sulfureux. En 1950, les historiens de l’art découvriront en effet qu’une fresque représentant Jupiter et Ganymède, réputée pour être un antique, avait en réalité été peinte de la main de Mengs...
Formé également à Rome, le Français Joseph-Marie Vien, protégé de Caylus, pousse plus loin l’expérience et va jusqu’à renouer avec la technique de la peinture à l’encaustique, décrite par Pline. Sa Marchande d’amours (Fontainebleau) illustre toutefois l’ambiguïté de sa peinture d’histoire : elle illustre ici un thème mythologique des plus légers – traité par l’anecdote –, la gravité provenant du recours à un décorum à l’antique.
Le décor à la grecque figuré dans les tableaux de Vien témoigne aussi de la diffusion de ce goût jusque dans les arts décoratifs. Si le célèbre bureau commandé vers 1757 par l’amateur Lalive de Jully à Louis-Joseph Le Lorrain (Chantilly, musée Condé, non exposé) fait office de prototype, Georges Jacob se fera une spécialité des sièges à l’antique et autres consoles à pattes de lion, quitte à créer des meubles en acajou, matériau pourtant plus anglais que romain !
Mais si l’histoire domine la peinture, d’autres genres permettent aussi l’émergence d’artistes talentueux. Parfois par dépit, comme Jean-Baptiste Greuze qui, avec Septime Sévère et Caracalla (Paris, musée du Louvre), sera recalé au titre de peintre d’histoire – sommet de la hiérarchie des genres. Motif : son sujet, qui met en scène un projet de parricide, ne serait pas assez héroïque.
Vers une Antiquité dévoyée
Dès 1760, des contre-courants apparaissent au milieu de cette symphonie néoclassique. Subleyras, resté à Rome, ne souscrit pas à ce dogmatisme archéologique. Fragonard, qui avait été salué par Diderot pour son Corésus et Callirhoé, s’éloigne rapidement de cette voie et renoue avec les frivolités de Boucher.
D’autres artistes, tout en observant l’antique, refusent le purisme archéologique et doctrinaire des proches de Winckelmann. Pour Hubert Robert, les ruines antiques deviennent le point de départ d’une rêverie archéologique empreinte d’un fort sentiment de nature. Le peintre Giuseppe Cades, en Italie, mais aussi les sculpteurs français Christophe-Gabriel Allegrain et Lambert-Sigisbert Adam renouent avec une certaine verve baroque.
En Angleterre, si le palladianisme s’est imposé dans l’architecture, avec ses décors pompéiens promus par une proche de Mengs, Angelica Kauffmann, un courant fécond éclot. Inspirés par les théories du sublime d’Edmund Burke, James Barry puis le Suisse Heinrich Füssli, qui s’installe à Londres en 1779, croisent les références antiques à la poésie de Milton ou à la littérature de Shakespeare dans une veine qui annonce le romantisme. Cela alors qu’à la toute fin du siècle, le néoclassicisme prend une connotation héroïque plus radicale. Rentré en France en 1780 après un séjour romain, Jacques-Louis David, formé chez Vien, sera le principal interprète de cette nouvelle peinture sévère et moralisatrice. Qui est aussi devenue un programme politique à la veille de la Révolution française.
Informations pratiques. « L’Antiquité rêvée. Innovations et résistances au xviiie siècle », jusqu’au 14 février 2011. Musée du Louvre, Paris Ier. Tous les jours de 9 h à 18 h. Jusqu’à 20 h le samedi, jusqu’à 22 h les mercredi et vendredi. Fermé le mardi. Tarif : 11 euros. www.louvre.fr
Répertoire antique. En complément du catalogue de l’exposition, L’Antiquité éternelle (Seuil, 39 e) constitue un répertoire utile de l’iconographie antique. Dimitri Casali, historien, et Caroline Caron-Lanfranc de Panthou, historienne de l’art, ont associé leur savoir pour retracer l’histoire de l’Antiquité au travers des motifs qu’elle a suscités. Ce livre est complet et facile d’accès. S’attardant sur les représentations du xixe siècle, il permet de poursuivre les réflexions sur le xviiie siècle abordées dans l’exposition du Louvre.
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Le néoclassicisme et ses résistants
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°631 du 1 janvier 2011, avec le titre suivant : Le néoclassicisme et ses résistants