PARIS
Les collections photo du Musée des arts décoratifs, peu mises en valeur depuis le XIXe siècle, montrent comment le médium a inspiré les artisans d’art.
Paris. Les collections de photographies du Musée des arts décoratifs (MAD) n’ont fait jusqu’à présent l’objet d’aucune exposition. Si ce n’est quelques focus discrets réalisés par la bibliothèque dans ses espaces, le contenu et l’histoire de ces fonds riches de 350 000 phototypes demeurent méconnus. Onze ans après la réouverture du musée, l’exposition « Histoires de photographies. Collections du Musée des arts décoratifs » montre enfin le rôle de premier ordre que cette institution a joué dans la diffusion et la reconnaissance de la photographie en France, de sa création en 1864 aux années 1980. Toutefois, étonnamment, à une époque où la photographie devient un des axes de la politique culturelle et artistique du ministère de la Culture, le Musée des arts décoratifs est mis de côté par ceux-là mêmes qui y avaient pourtant trouvé le cadre pour organiser des événements. Tel Robert Delpire qui y exposa pour la première fois en France le travail d’Henri Cartier-Bresson en 1955, avant de se voir confier la direction du Centre national de la photographie au Palais de Tokyo, en 1982.
Certes, des expositions de photographies continuent à s’organiser au MAD, comme celles sur le photographe de mode Horst P. Horst en 1991 ou sur la photographie publicitaire en France en 2007. Mais il faut attendre 2015-2016 pour qu’une politique de valorisation et de conservation des fonds photographiques soit engagée et que se réalise dans la foulée « Histoires de photographies… », sous le commissariat de Sébastien Quéquet, attaché de conservation en charge des collections.
L’histoire complète de ces fonds est retracée dans le catalogue de l’exposition, car si elle se raconte sur certains cartels, Sébastien Quéquet a choisi d’élargir le propos à un récit instructif mené à partir des fonds du musée sur les vocations et les usages du médium dès sa création, que ce soit dans le domaine de la création textile, le décor, l’architecture, la mode, de la publicité ou l’édition.
La photographie est en effet source d’inspiration pour de nombreuses professions et pour les artistes. À l’Union centrale des beaux-arts appliqués à l’industrie, aujourd’hui les Arts décoratifs, les créateurs de papiers peints ou de décors floraux venaient puiser dans les photographies d’Eugène Atget, d’Adolphe Braun, de Charles Aubry ou dans les beaux cyanotypes de 1895 du décorateur et photographe Henri Bodin dont l’exposition révèle une partie de la production méconnue.
Le parcours est truffé de pépites de ce type entrées dans les collections à la faveur de dons ou de dépôts réguliers menés jusqu’aux années 1970 et couvrant différents champs, notamment la photographie de voyage fort cotée dans la deuxième partie du XIXe siècle. Un florilège de tirages d’époque se déploie, signés par des auteurs illustres comme Désiré Charney, Henri Le Secq, ou moins connus comme le baron Raimund von Stillfried [voir ill.]. La période de l’entre-deux-guerres abordée par la commande publicitaire ou éditoriale, source d’expression et de diffusion de l’avant-garde photographique, réserve d’autres découvertes tels le fonds « Connaissances des arts » donné en 1976, ceux de Paul Burty-Haviland et de l’architecte décorateur Pierre Chareau ou encore les photogrammes de 1932 de Jacques Nathan-Garamond et de Jean Collas.
La dernière partie du parcours intitulée « Photographier la mode » illustre la source de documentation que ces photos ont pu être et demeurent encore pour les stylistes, décorateurs de costumes, historiens de mode ou étudiants. Les tirages sont essentiellement des tirages de travail ou des photographies de presse issus de différentes sources, en particulier de maisons de couture comme celles de Paul Poiret, Madeleine Vionnet ou de Charles Frederick Worth.
Il y a aussi quelques dons récents dont deux photographies de Valérie Belin réalisées pour le catalogue de l’exposition « Garde-robes » (1999-2000). À la différence du Palais Galliera, voire du Musée national d’art moderne, auquel Jean-Paul Goude a donné récemment une centaine d’œuvres, le Musée des arts décoratifs est sorti malgré lui de ces circuits des grandes donations ou acquisitions, faute de mécénat. « Histoires de photographies » pourrait changer la situation.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°566 du 30 avril 2021, avec le titre suivant : Le MAD expose enfin son fonds photographique