Art moderne

XIXE SIÈCLE

Le grand œuvre caché de Gustave Moreau

Par Élisabeth Santacreu · Le Journal des Arts

Le 10 février 2022 - 509 mots

PARIS

Les feuilles rescapées de la série des « Fables » de La Fontaine n’ont pas été montrées au public depuis 1906. L’occasion est unique d’admirer l’aquarelliste éblouissant qu’était ce peintre hors du commun.

Paris. De 1879 à 1884, le peintre Gustave Moreau (1826-1898) a poursuivi un travail au long cours sur l’illustration des Fables de La Fontaine. Il répondait à la commande d’un admirateur, le rentier marseillais Antony Roux dont le musée fondé par l’artiste conserve les lettres : à la réception de chaque lot d’œuvres, le collectionneur lui retournait des éloges dithyrambiques. Ils discutaient tous deux des fables à illustrer et le peintre décrivait la composition qu’il envisageait. Roux participait à la réflexion : pour « Le Rat de ville et le Rat des champs », il a par exemple suggéré que le décor soit de style Louis XIII, « ce qui nous permettrait de mettre sur la table des bibelots à la Benvenuto Cellini – pierreries et or ».

Cette aquarelle, somptueuse, est exposée avec trente-quatre autres dans l’atelier du peintre, sous le commissariat de Marie-Cécile Forest, Dominique Lobstein et Samuel Mandin. Gustave Moreau en avait réalisé soixante-quatre dont un frontispice (Allégorie de la fable). Roux en vendit une (L’Homme entre deux âges et ses deux Maîtresses dont on a les dessins préparatoires) et le reste fut acheté après son décès par Miriam Alexandrine de Goldschmidt-Rothschild qui, en 1936, donna Le Paon se plaignant à Junon au Musée Gustave-Moreau. Vingt-huit ont disparu au moment de la Seconde Guerre mondiale, volées et sans doute détruites. À l’exception de celle qui appartient au musée, les aquarelles subsistantes n’ont pratiquement pas vu la lumière depuis 1906. Leurs couleurs intactes justifient les mots de l’écrivaine Judith Gautier qui, rendant compte dans Le Rappel de l’exposition où elle put en admirer une partie en 1881, les disait « peintes avec des pierreries liquides ».

Soixante-dix-huit œuvres sont présentées, aquarelles achevées ou études et esquisses, mettant en valeur le travail effectué par Gustave Moreau pour honorer cette commande. Les visiteurs qui avaient pu se rendre au musée avant la reprogrammation de la présente exposition (retardée en raison des conditions sanitaires) ont eu la chance d’admirer d’autres esquisses poussées, par exemple d’Allégorie de la fable ou de Le Rat de ville et le Rat des champs. Toutes ces œuvres en rapport avec les Fables se retrouvent dans le catalogue.

Les dessins préparatoires permettent de comprendre comment Moreau a étudié les animaux en se rendant au Muséum d’histoire naturelle, quels détails il a pu puiser chez d’autres artistes qui l’ont précédé et quelles influences il a intégrées (celle de Rembrandt, par exemple). Plus généralement, il s’est inspiré des arts d’autres civilisations, mais aussi des illustrations qu’il trouvait dans les magazines ou des publications dont regorgeait son immense bibliothèque. C’est le cas pour Le Songe d’un habitant du Mogol au croisement de l’art indien, des vues exotiques du Magasin pittoresque et de La Grammaire de l’ornement d’Owen Jones. Si l’exposition montre ce que l’aquarelle a pu produire de plus beau, le catalogue est une plongée érudite et passionnante dans l’univers d’un créateur hors norme.

Gustave Moreau. Les « Fables » de La Fontaine,
jusqu’au 28 février, Musée national Gustave-Moreau, 14, rue de La Rochefoucauld, 75009 Paris.

Thématiques

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°582 du 4 février 2022, avec le titre suivant : Le grand œuvre caché de Gustave Moreau

Tous les articles dans Expositions

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque