FONTAINEBLEAU
À la veille de son sacre, le futur empereur choisit de faire du château de Fontainebleau l’une de ses résidences et le transforme pour en faire un outil de communication politique. À l’occasion de l’exposition « Un palais pour l’Empereur », visite des lieux.
Rarement un détail architectural n’aura incarné avec autant de force un personnage. Pour certains passionnés d’histoire et de l’Empire, l’escalier en fer à cheval du château de Fontainebleau constitue en effet, aujourd’hui encore, une halte patrimoniale incontournable pour ne pas dire un pèlerinage. De fait, l’escalier le plus célèbre de France évoque irrésistiblement le destin mythique de Napoléon Ier. Puisque c’est du haut de cette volée de marches que l’Empereur déchu fit ses adieux aux soldats de sa garde dans une scène d’anthologie. De sorte que, dans l’imaginaire collectif, le monument de Seine-et-Marne et la geste napoléonienne sont inséparables. Une réputation méritée, puisqu’il en avait fait sa résidence de prédilection.
En dictant ses mémoires sur l’île de Sainte-Hélène, Napoléon livre les raisons de cet attachement à ce château plus qu’à tout autre. Pour lui, Fontainebleau est « la vraie demeure des rois, la maison des siècles. » Le début de la citation est resté dans les annales ; contrairement à la suite de l’explication, moins lyrique, mais qui donne les clefs de son intérêt pour ce lieu. « Peut-être n’était-ce pas rigoureusement un palais d’architecte, mais bien assurément un lieu d’habitation bien calculé et parfaitement convenable. C’était ce qu’il y avait sans doute de plus commode, de plus heureusement situé en Europe pour le souverain. » On reconnaît bien dans ces quelques mots le pragmatisme de l’homme d’action cherchant un lieu bien situé, et pouvant facilement conjuguer sous un même toit un cadre de vie, de réception et de travail.
Dans son argumentaire, le principal intéressé tait toutefois un critère essentiel : Fontainebleau est à la fois un lieu profondément inscrit dans l’histoire de France tout en étant moins connoté que d’autres sites comme Versailles. Car il ne faut pas oublier qu’en 1804, quand Bonaparte, Premier Consul, devient Napoléon Ier, Empereur des Français, il déclare en toute modestie : « Je n’ai pas succédé à Louis XVI, mais à Charlemagne. » L’Empire, nouveau régime héréditaire prenant appui sur une dynastie inédite (les Napoléonides), doit donc se légitimer en s’ancrant dans des lieux de mémoire, tout en marquant sa différence avec l’Ancien Régime. Palais et châteaux sont alors restaurés, décorés, remeublés et réinvestis symboliquement avec un sens consommé de la communication.
S’il a globalement échappé aux déprédations révolutionnaires, le château bellifontain ressort toutefois en piteux état de cette période d’abandon. À la veille du sacre en 1804, Napoléon ordonne que l’on rénove et remeuble ce lieu qui a été le berceau du royaume depuis Philippe le Bel. En un temps record, moins de trois semaines, le château est remeublé pour héberger le pape Pie VII. Commence, en parallèle, une campagne de restauration aussi méticuleuse que moderne. Car, contrairement aux us de l’époque, le souverain n’applique pas la politique de la table rase. Au contraire, conscient de l’importance des différentes strates du monument, il conservera la quasi-totalité de l’édifice, à l’exception d’une aile basse fermant initialement la cour. Il lui préfère une grille d’honneur qui accentue la dimension d’entrée monumentale et magnifie le fameux escalier. Aux quatre coins du palais, on rétablit le clos et le couvert, tandis que les jardiniers s’affairent à redessiner dans le goût anglais d’épais bosquets ensauvagés. Le pavillon de l’étang dessiné par Le Vau est également restauré et doté d’un nouveau décor. Concernant la décoration intérieure, Napoléon conserve également autant que possible le legs des précédents occupants. Un choix motivé autant par des raisons idéologiques qu’économiques. Certains espaces trop détériorés sont toutefois reconstruits, telle la galerie de Diane, qui devient la plus longue pièce du château et un manifeste politique. Une armada de décorateurs et d’artisans réaménage avec faste et dans le souci de l’étiquette les grands appartements du premier étage qui conservent leur fonction d’apparat. Le grand appartement de Marie-Antoinette est investi par Joséphine puis Marie-Louise. Son style néo-classique est encore très en vogue, et les pièces sont donc peu transformées. Dans certaines pièces, un mobilier somptuaire, signé entre autres Desmalter, vient apporter une touche supplémentaire de sophistication, à l’instar du splendide boudoir d’argent.
Datant de l’époque de Louis XV, le grand appartement du roi n’est en revanche plus adapté au goût de l’époque ni au discours politique. Le souverain le modifie donc davantage, à commencer par la chambre du roi, qui se mue en salle du trône. Napoléon prend ses quartiers dans l’appartement intérieur de Louis XVI. Cette enfilade de sept pièces décorées par Fontaine témoigne autant de ses qualités d’esthète que de bourreau de travail. Les lieux de labeur et d’étude ponctuent en effet cet espace tout comme les petits appartements. Reliées à l’appartement par des passages secrets, ces salles intimes recèlent en effet un bureau et une sensationnelle bibliothèque.
L’exposition "Un palais pour l’Empereur"
Résidence de prédilection de Napoléon Ier, le château de Fontainebleau a été le théâtre d’illustres épisodes de l’histoire de l’Empire, mais aussi le laboratoire de la légitimation et de la scénarisation de ce pouvoir nouveau. Le palais a donc été fortement transformé afin de servir cette stratégie de communication politique. Ainsi, l’empreinte de l’Empereur et de ses épouses, Joséphine, puis Marie-Louise, a considérablement remodelé l’identité de cette demeure aujourd’hui totalement indissociable de l’aventure napoléonienne. Bien que cette résidence soit l’une des demeures impériales parmi les mieux conservées, certains aménagements et décors ont toutefois été modifiés au gré des soubresauts politiques. À l’occasion du bicentenaire de la mort de Napoléon, une exposition événement tente de rendre sa cohérence au projet initial de l’Empereur. Plus de deux cents œuvres d’art et documents redonnent vie aux projets de ses architectes attitrés, Percier et Fontaine. Tandis que des objets et des pièces de mobilier commandités pour Fontainebleau, mais dispersés depuis, regagnent leurs pénates.
Isabelle Manca-K.
La salle du trôneSous l’Ancien Régime, la chambre du roi occupait une place privilégiée dans l’étiquette. L’Empereur a donc logiquement choisi cette pièce pour installer sa salle du trône. Le décorum de cette pièce est emblématique de la recherche de continuité voulue par Napoléon. La draperie rouge et les emblèmes évoquent la Rome antique, tandis que le bleu rappelle le manteau des rois de France. Les abeilles convoquent quant à elles l’iconographie de Charlemagne, la référence historique absolue pour l’Empereur.
La bibliothèque
Restaurée à l’occasion du bicentenaire de la disparition de l’Empereur, la biblio-thèque révèle un travailleur infatigable et un lecteur vorace. Il disposait d’une bibliothèque dans chacune de ses résidences, et elles étaient toutes organisées selon le même classement afin qu’il puisse trouver facilement ses livres. Fait exceptionnel, celle de Fontainebleau est la seule conservée dans son intégralité. Au détour de traités militaires, on y découvre ses goûts en matière de littérature et de théâtre.
La galerie de Diane
Avec ses 80 m de long, la galerie de Diane est la transformation la plus importante du palais sous l’Empire. Cette pièce impressionnante constitue aujourd’hui un exceptionnel patchwork qui résume l’histoire politique du XIXe siècle, car son programme iconographique à la gloire de l’Empereur a été profondément amendé durant la Restauration. Par la suite, Napoléon III voudra lui rendre son sens initial et en faire un lieu de mémoire en y installant le prestigieux globe de son oncle.
La tente de l’Empereur
Loin du décorum des salles d’apparat, le Musée Napoléon Ier, niché dans une aile du palais, renferme une pièce inattendue : une reconstitution de la tente de l’Empereur. Homme de terrain, il passa plus de trois ans en campagne, de son sacre à son abdication. Le souverain avait donc besoin d’un certain confort pour supporter ces périodes sur les champs de bataille. La tente abrite ainsi un lit pliant, une table, mais aussi des nécessaires très astucieux pour manger, travailler et faire sa toilette.
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Le Fontainebleau de Napoléon
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Abonnez-vous dès 1 €« Un palais pour l’Empereur. Napoléon Ier à Fontainebleau »,
jusqu’au 3 janvier 2022. Château de Fontainebleau, place du Général-de-Gaulle, Fontainebleau (77). Tous les jours sauf le mardi, de 9 h 30 à 17 h. Tarifs : de 11 à 13 €. Commissaire : Jean Vittet. www.chateaudefontainebleau.fr
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°747 du 1 octobre 2021, avec le titre suivant : Le Fontainebleau de Napoléon